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Victoria University of Wellington Law Review

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Al Wardi, Semir --- "Tahiti et la France" [2001] VUWLawRw 38; (2001) 32(3) Victoria University of Wellington Law Review 760

TAHITI ET LA FRANCE

Semir Al Wardi[*]

La Polynésie française, territoire d'outre-mer avant de devenir dans un proche avenir « pays d'outre-mer », contraint la République française à corriger sa conception de l'Etat unitaire. Les cultures politiques républicaine et polynésienne véhiculant une vision du monde spécifique liée à leur histoire, culture, langue, n'ont cessé de se heurter. Cependant, il est à noter que les principales revendications de la classe politique polynésienne n'ont pas vraiment changé (océanisation des cadres, pouvoir législatif...). En revanche, l'Etat français a concédé, peu à peu, compétence après compétence jusqu'à introduire dans le droit des éléments étrangers à la culture politique républicaine comme la citoyenneté ou les « lois du pays ».

La Polynésie française est un territoire d'outre-mer disposant d'un statut d'autonomie: ce terme désigne principalement une répartition exceptionnelle des compétences entre le pouvoir central et les autorités locales. L'Etat n'a plus que des compétences d'attribution et le Territoire dispose de la compétence générale. Si en métropole, pratiquement toutes les compétences exercées par les collectivités territoriales sont, depuis longtemps déjà, bornées par des textes législatifs et réglementaires, ce n'est pas le cas des territoires d'outre-mer où subsiste une incertitude juridique. Dès lors, l'exercice de la compétence générale par le pouvoir local est malaisé et les tensions inévitables d'autant que les définitions données à la « compétence générale » par les deux acteurs sociaux sont souvent contradictoires. Alors qu'en métropole la décentralisation s'est réalisée dans un ensemble plus homogène, en Polynésie française, les rapports entre l'Etat et le Territoire sont complexes pour ne pas dire souvent tendus.

Dès la mise en place du statut d'autonomie interne, en 1984, il a été décidé d'instituer un contrôle de la légalité, à l'instar de celui créé par la loi de décentralisation en métropole, et d'instaurer un véritable tribunal administratif. Mais si le tribunal administratif permet donc un contrôle de légalité, particulier certes avec ce statut unique, de devenir un organe régulateur des institutions, il se retrouve rapidement au centre des tourmentes politiques. Il devient même un acteur politique pour les hommes politiques polynésiens. L'intervention du tribunal administratif dans la vie politique, à la demande des différents protagonistes (Etat, institutions territoriales ou acteurs politiques) finit même par susciter une vive critique de la présidence du gouvernement et même de l'Etat. Il est indéniable que le rôle du tribunal administratif n'est pas vécu de la même manière qu'en métropole. Or supprimer ou diminuer les possibilités de contrôle administratif et donc de déposer des déférés peut mettre en cause les fondements mêmes de l'Etat: «Le législateur ne pourrait donc supprimer ce contrôle sans mettre en cause la forme unitaire de l'Etat».[1]

Les reproches des élus locaux peuvent s'expliquer par une conception originale du droit français: le pouvoir local ne reconnaît pas toujours la hiérarchie des normes. En effet, pour lui, les magistrats ne doivent s'appuyer dans leurs considérants ni sur la jurisprudence du Conseil d'Etat (évolutive pour les territoires d'outre-mer), ni sur des lois prétendues non-applicables, ni sur des principes généraux du droit, ni sur les traités internationaux et même ni sur la Constitution, tout cela au nom des spécificités locales. Aussi, l'interprétation de l'article 74 de la Constitution faite par le Territoire ne correspond pas à celle de l'Etat: c'est au nom de «l'organisation particulière » reconnue aux territoires d'outre-mer que la Polynésie s'oppose à l'Etat qui s'appuie sur « l'unité et l'indivisibilité de la République».

De toute façon, le Territoire n'apprécie pas les contrôles de l'Etat qui, sur les collectivités territoriales, est inhérent à la forme de la République française, Etat unitaire. Ce contrôle administratif n'est accepté le plus souvent que sous la contrainte car il est vécu comme un contrôle politique. Rappelons que les termes de « politique » et d' « administratif » sont traduit par le même mot en tahitien: Hau . Aussi, le pouvoir local a du mal à se considérer seulement comme un pouvoir administratif.

Pourquoi ces malentendus entre l'Etat et le pouvoir local?

La Polynésie française baigne dans un océan de culture juridique anglo-saxonne et les hommes politiques polynésiens s'inspirent souvent du fonctionnement de ces îles, notamment ceux des Cook, qui procède d'un système juridique totalement différent.

Tout d'abord, pour saisir les tensions Etat-pouvoir local, il n'est pas possible d'isoler le juridique de son environnement culturel et politique. Dans le cas des relations entre l'Etat et le Territoire, il s'agit principalement de cohabitation de différentes cultures politiques. Les relations complexes entre l'Etat et une collectivité territoriale disposant de spécificités propres, liées à son histoire, ne peuvent être abordées sans prendre en compte la dimension culturelle. Les hommes politiques polynésiens sont mûs par une éducation, une histoire, une langue, une culture propres qui façonnent leurs certitudes, leurs perceptions, leurs actions, leurs visions du monde. L'utilisation permanente d'une langue polynésienne, qualifiée souvent de langue maternelle, entraîne une perception différente des choses.

La culture polynésienne, et sa part politique, sont le produit d'un syncrétisme entre la tradition et les apports extérieurs. Cette tradition et cette culture politique ont intégré les conceptions exogènes pour les rendre acceptables dans la société polynésienne: on constate que tout l'apport exogène religieux, humain ou politique, a été finalement « océanisé ». Autrement dit, la culture polynésienne après l'arrivée des Européens, ne s'est pas transformée en une reproduction des cultures européennes mais plutôt en un syncrétisme des croyances et des comportements. Les cultures politiques polynésiennes ont évolué avec les nouvelles « règles du jeu » politique: la différence réside dans l'utilisation de la violence où la force est remplacée par les urnes. L'échange entre un chef et sa population demeure mais change de nature. Les dons ne sont plus le fruit d'un labeur mais se réduisent au minimum au bulletin de vote, au plus à une activité militante. La redistribution du surplus se transforme en répartition des ressources publiques.

La vie politique polynésienne contemporaine ne date que de 1945 et ne s'est pas faîte sur une opposition des groupes sociaux, comme en Europe, mais essentiellement sur la présence française avec, dès le début, des revendications statutaires. Il s'agissait pour tous les groupes politiques de se positionner par rapport à cette présence. Le débat politique est donc absorbé par la question statutaire. En clair, les deux grandes catégories politiques (autonomistes - indépendantistes) fonctionnent essentiellement sur la question du rapport avec la France, et en cela il n'y a pas une rupture fondamentale entre elles. La différence se situe dans la définition de l'Etat (partenaire choisi/colonisateur). En effet, la bipolarisation des autonomistes - anti-autonomistes, puis des autonomistes jugés modestes - autonomistes audacieux, a laissé la place à celle, plus marquée, des autonomistes - indépendantistes. Certes, les hommes politiques ou l'électorat peuvent passer d'une catégorie à une autre puis inversement. Cependant, il semble bien que ces deux grandes catégories soient actuellement les seules dans le champ politique polynésien.

Enfin, le sens donné au concept d'autonomie n'est pas le même pour les deux acteurs sociaux: le président du gouvernement qualifie ce statut d' « autonomie politique », or une autonomie de type politique était, en l'état de la Constitution et des mentalités, impossible. Un territoire d'outre-mer faisant partie intégrante de la République, cette collectivité territoriale ne peut être que subordonné au centre et disposer du seul pouvoir administratif. La République s'est faite contre les spécificités locales et un seul centre politique est toléré. Le fait qu'une collectivité territoriale ne puisse être une entité politique est spécifique du droit français. Dès lors, le principe d'autonomie était « étranger » à la conception française de l'Etat unitaire. Ce principe d'autonomie n'est pas incompatible avec l'organisation de l'Etat unitaire dans l'absolu (voir le droit espagnol ou italien) mais avec l'histoire de France et l'état d'esprit qui en résulte. L'autonomie n'était qu'une forme approfondie de décentralisation.

Mais depuis les accords de Nouméa du 21 avril 1998, l'Etat a révisé sa conception jacobine de l'Etat unitaire en ajoutant à sa définition, pour la Nouvelle-Calédonie, une dimension politique. En effet, il faut distinguer l'autonomie administrative de l'autonomie politique: est une autonomie administrative celle qui n'autorise aux collectivités locales que le seul pouvoir d'édicter des actes de nature administrative; en revanche avec l'autonomie politique, les élus locaux sont autorisés, selon diverses procédures, à voter des lois, les « lois du pays ». C'est-à-dire que ces actes votés par une assemblée locale n'ont plus à être conformes à toute une série de lois mais à la seule constitution: le champ du possible est alors considérable. Une modification constitutionnelle, en cours, permettra à la Polynésie française de se doter d'une autonomie politique.

Pour ne prendre qu'un exemple de ce changement radical de la culture politique française, citons la revendication constante depuis 1945, des hommes politiques Polynésiens, portant sur « l'océanisation des cadres ». Il s'agissait de permettre aux Polynésiens d'accéder prioritairement aux emplois. Or cette revendication a toujours été repoussée par l'Etat au nom du principe, reconnu par la Constitution, d'égalité de tous face aux emplois et donc le refus de mettre en place une discrimination positive. Le tribunal administratif de Papeete a maintes fois annulé des textes qui tentaient d'instaurer une « océanisation des cadres ».[2] La modification constitutionnelle prévue permettra la mise en place d'une citoyenneté polynésienne et répondra ainsi à cette revendication: pour être citoyen, il faudra être natif ou enfant de natif, ou y résider depuis un certain nombre d'années (5 ou 10 ans, cela n'est pas encore déterminé). Elle permettra aux titulaires d'accéder prioritairement, à diplôme égale, aux emplois et à l'acquisition foncière.

Reprenons les quatre principaux facteurs des tensions Etat-Territoire pour les résumer: deux ne sont pas spécifiques à la seule Polynésie française et peuvent correspondre à toute décentralisation:

- Une répartition de compétences mal définies: L'Etat se garde mal de la tentation jacobine et le Territoire aspire à accumuler insatiablement de nouveaux pouvoirs. La construction d'un véritable pouvoir local, dans le cadre de la République, est donc une lutte de chaque instant.

- Des majorités politiques opposées entre métropole et pouvoir local: les relations Etat-Territoire sont médiocres lorsque la majorité locale ne correspond pas à la majorité nationale. Mais, lorsqu'elles sont de la même famille politique, certaines complicités ne sont pas non plus souhaitables pour la démocratie (par exemple les absences de contrôle du Territoire par le représentant de l'Etat). Dans les relations Etat-Territoire, l'aspect politique prend inévitablement le dessus et la neutralité de l'Etat reste à démontrer.

Les deux autres causes sont, par contre, caractéristiques des relations Etat-Territoire en Polynésie française car elles se rapportent à la culture politique polynésienne:

- Une conception différente du droit: on observe entre les deux entités des divergences d'interprétation quant au mot autonomie et au statut constitutionnel des territoires d'outre-mer. Les hommes politiques polynésiens rejettent la suprématie de l'Etat sur les collectivitÈs territoriales au profit d'un partenariat librement consenti. Le Territoire refuse toute conception centralisatrice et lutte pour imposer une vision « girondine », et ou même « anglo-saxonne » de la décentralisation; il se considère comme un vrai pouvoir politique et repousse fermement le caractère seulement administratif qui lui est attribué, et souhaite donc disposer d'un pouvoir normatif. Cela sera désormais possible avec la réforme constitutionnelle à venir puisque la Polynésie française pourra voter des « lois du pays ». Cela ne concernera pas tous les actes de l'assemblée de Polynésie française qui resterons de simples actes administratifs. Il semblerait que les « lois du pays » concerneront essentiellement les impôts, le fonctionnement des institutions et le régime de propriété. Ces lois du pays pourront être déférées, à l'instar des autres lois de la République, au Conseil constitutionnel.

- Une conception exogène de l'Etat et la persistance de l'inconsistance du sentiment national: les Polynésiens ont le sentiment vivace d'appartenir à un peuple distinct du peuple français et perçoivent l'Etat, Hau farani, comme un pouvoir extérieur, pour ne pas dire étranger. Outre les raisons culturelles et historiques, les attitudes du Territoire (surenchère statutaire, rejet de l'Etat ou volonté d'égalité) empêchent le sentiment national de se développer, dès lors le pouvoir local participe au caractère « extérieur » de l'Etat.

C'est que la conception « girondine » de l'Etat, réalisable en métropole, a des conséquences autrement plus graves quand elle s'applique à un territoire où le sentiment national n'existe pas. Dans ce cas, le principe d'autonomie n'est pas un antidote à l'indépendance.[3] Et à l'inverse, on peut affirmer que refuser des libertés au pouvoir local, c'est précipiter ce territoire vers l'indépendance: les élus ont bien souvent mis en avant cette affirmation selon laquelle pour « couper l'herbe sous les pieds » des indépendantistes, il fallait accorder des libertés. Ainsi, ne pas accorder l'autonomie, c'est risquer l'indépendance, et inversement accorder l'autonomie à un Territoire qui nie l'Etat, c'est aussi risquer l'indépendance par manque de « consistance nationale ». L'équilibre est périlleux.

TAHITI AND FRANCE

French Polynesia, a French Overseas Territory before becoming (soon) an "Overseas Country", has compelled the French Republic to amend its understanding of the notion of "unitary state".

Political cultures, republican and Polynesian conveying a vision of the specific world related to their history, culture, language, were in constant opposition. However, it should be noted that the principal claims of the Polynesian political community have not really changed (local preference granted to the local workforce, legislative power...). On the other hand, the French government has conceded, little by little, one power after another to introduce into the law elements foreign to the republican political culture such as the citizenship or the "laws of the country".

This paper discusses the significant imminent shifts in the constitutional relationship of France to the Territory of French Polynesia, and the fine line between autonomy and independence.


[*] Maître de Conférences, Université de la Polynésie Française.

[1] Constantinos Bacoyannis, Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales Economica - Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 1993) 167.

[2] Par exemple: TA du 28 juin 1988, Mme Liao c/ Territoire ou TA du 12 décembre 1991, Etat c/ Assemblée territoriale, n° 91-214 ou TA du 29 juin 1993, Haut-commissaire c/ Assemblée territoriale.

[3] Pour reprendre la phrase de Gaston Flosse: « il n'y a qu'un antidote contre l'indépendance, c'est le principe de l'autonomie ». JORF, Assemblée Nationale, 2e séance du 1er février 1996, p 563. Cette formule a déjà été utilisée par Gaston Flosse pour l'autonomie interne (La Dépêche du 11 mars 1993, p 18).


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