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Victoria University of Wellington Law Review

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Moyrand, Alain --- "Point De Vue Droit et Politique : a Propos de L'affaire de la Radiation des Listes Electorales du President Flosse" [2001] VUWLawRw 39; (2001) 32(3) Victoria University of Wellington Law Review 761

POINT DE VUE

«DROIT» ET «POLITIQUE»: A PROPOS DE L’AFFAIRE DE LA RADIATION DES LISTES ÉLECTORALES DU PRÉSIDENT FLOSSE

Alain Moyrand[*]

1 LE «DROIT»

Dès lors que la «loi» - expression de la volonté générale - organise une procédure juridictionnelle permettant d’éradiquer les irrégularités qui pourraient entacher les élections, on ne saurait reprocher à celui qui l’utilise de violer le Droit, quand bien même son issue aurait pour effet d’éliminer un homme politique.

On peut certes, à propos de la requête introduite par un électeur devant le tribunal civil et visant à obtenir la radiation des listes électorales du Président Flosse, soit s’offusquer de la méthode utilisée pour priver le Président Flosse de ses «droits politiques de citoyen» soit, au contraire, se réjouir de cette subtilité procédurale.

Mais en tout état de cause, il n’empêche que le «droit au recours» reste reconnu, tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, comme étant un Droit Fondamental.

Saisie de cette requête, le juge du contentieux de la liste électorale[1] devait répondre à deux questions:

(1) le domicile de M. Flosse est-il situé sur la commune de Pirae ou sur la commune d’Arue? Si le juge civil estimait que ce domicile était situé sur la commune d’Arue, il devait alors le radier de la liste électorale de la commune de Pirae;
(2) En cas de radiation de M. Flosse de la liste électorale de la commune de Pirae, celui-ci pouvait-il néanmoins, au motif que son domicile réel est situé désormais sur cette dernière, prétendre à être inscrit sur la liste électorale de la commune d’Arue?

La première question ne posait pas vraiment de difficulté juridique particulière puisqu’une jurisprudence constante confortait la demande du requérant, de telle sorte qu’il convenait, fort du constat que le domicile réel de M. Flosse était situé sur la commune d’Arue, de le radier de la liste électorale de la commune de Pirae.

Aussi, en faisant droit à la demande du requérant, la décision du juge de première instance, n’encourait aucun grief.

Répondre avec certitude à la seconde question restait beaucoup plus problématique, deux réponses contradictoires pouvant être données.

Une première analyse strictement chronologique tendait à constater qu’au moment où a été introduit le recours visant à obtenir la radiation de M Flosse de la liste électorale de la commune Pirae, celui-ci se trouvait privé de la possibilité de demander à être inscrit sur la liste électorale de la commune d’Arue dès lors qu’une telle opération aurait du être effectuée avant le 31 décembre 2000.

Il reste cependant que le code électoral n’a pas prévu le cas où un électeur est radié des listes électorales postérieurement à la clôture des inscriptions.

Aussi, dans le silence de la loi et en l’absence de précédents jurisprudentiels, il était possible de conclure, comme l’a fait le juge civil de première instance[2], que M Flosse était privé du droit à se faire inscrire, en dehors des périodes réglementaires d’inscriptions, sur la liste électorale de la commune de Arue. En conséquence, il lui aurait donc fallu attendre 2002 pour recouvrer ses droits politiques de citoyen.

Cependant, malgré la clôture des inscriptions, la loi n’interdisait pas formellement au juge de faire droit à la demande d’inscription sur la liste électorale de la commune de Arue, et ce d’autant plus que plusieurs éléments militaient en faveur de cette lecture du «Droit».

A l’appui de cette seconde analyse, rappelons tout d’abord que le juge judiciaire est, par tradition et en vertu de l’article 66 de la Constitution, le gardien de la liberté individuelle.

Ensuite, la contestation portait sur l’exercice des droits fondamentaux (droit de vote et droit à être candidat) et dans ce contexte spécifique, le juge de la liste électorale pouvait fort bien, faire prévaloir une lecture plus conforme au nécessaire respect de ces droits de rang constitutionnel.

En effet, une interprétation constructive, permettait à M Flosse d’être inscrit sur la liste électorale de la commune de Arue. En l’espèce, il suffisait de considérer que la possibilité de priver un citoyen de son droit de vote à la suite d’une radiation intervenue en dehors des périodes de révision de la liste électorale, contrevenait aux droits fondamentaux accordés à tous les citoyens par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et de l’article 3 de la Constitution.

La mise en œuvre conjuguée de ces deux textes, imposait au juge qui vient de procéder à la radiation d’un citoyen de la liste électorale, de faire également droit à la demande d’inscription de ce dernier sur la liste électorale de la commune où son domicile réel a été fixé par son jugement.

Il n’est donc guère surprenant que cette seconde solution ait été retenue par la Cour de cassation lorsqu’elle eut à se prononcer sur la question.[3]

Sur un plan purement juridique, on ne peut donc que se féliciter de cette décision, qui pour combler une lacune du code électoral, fait prévaloir les droits fondamentaux du citoyen.

Aujourd’hui, consacrée par la Cour de cassation, cette solution s’appliquera désormais à tout citoyen qui se trouverait placé dans la même situation que M Flosse.

II LA «POLITIQUE»

Mais toute décision de justice, peut à raison des circonstances où elle est rendue (moment, objet, qualité des parties...) emporter des effets sociaux et politiques sur la vie de la cité. Il en sera ainsi, même si les organes juridictionnels amenés à trancher le contentieux n’ont pas souhaité que leur décision emporte de tels effets.

On sait bien qu’il n’existe pas de césure radicale entre le «Droit» et la «Politique» et à plus fortes raisons lorsque le Droit est mis aux services de fins politiques.

Au delà du droit,[4] la décision de justice qui prive le Président Flosse de sa qualité d’électeur influe aussi sur un ensemble des citoyens.

La perte du droit de vote entraîne la perte du droit d’être éligible. Or, s’agissant du Président Flosse, une telle décision avait pour effet de porter lourdement atteinte à l’expression d’un courant de pensée, majoritaire en Polynésie Française, de telle sorte que cela n’aurait pas été sans influer sur les élections municipales et territoriales de l’année 2001.

Refuser au Président Flosse d’être éligible, revenait dans les faits à gravement amputer ou a tout le moins sérieusement minimiser le «droit au choix» conféré aux électeurs et citoyens polynésiens. A l’appui de cette thèse, il suffira ici de rappeler que «l’exigence du pluralisme des courants d’idées et d’opinions constitue le fondement de la démocratie»[5] et par la même il constitue «une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés».[6]

Ainsi, une banale procédure juridictionnelle et un simple concours de circonstances auraient pu avoir pour conséquences de fausser le débat démocratique en écartant pour des raisons de pure technique juridique, un courant de pensée de la scène politique polynésienne.

Imaginons un instant, que cette décision eut été confirmée par la Cour de cassation, faisant prévaloir l’interprétation restrictive retenue par le juge civil de première instance. Elle eut été lourde de conséquences.

Il suffira, à titre d’illustration,[7] de se souvenir de ce qu’il est advenu sous d’autres cieux, aux dernières élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées en Côte d’Ivoire, ou un phénomène similaire s’est produit.

On se souvient, en effet, qu’en utilisant une procédure juridictionnelle, un parti politique, celui de M Gbagbo, actuel chef de l’Etat, a réussi à empêcher un leader de premier plan, M Ouattara, ancien Premier ministre, de briguer le suffrage des citoyens ivoiriens au motif que la nationalité de ce dernier était douteuse. Les désordres qui en ont résulté – et qui ne sont aujourd’hui pas encore terminés - sont importants.

Dans un registre moins grave, imaginerait-on seulement quelques instants que, par exemple, le Président de la République ne puisse plus être candidat lors des prochaines élections présidentielles au motif que l’Elysée se trouve à cheval sur deux arrondissements et que M Chirac n’est pas inscrit dans la «bonne» circonscription?

III LE «DROIT» ET LA «POLITIQUE»

Le contexte politique polynésien plaidait pour des raisons de pur bon sens, que soit respecté le droit fondamental de M Flosse à pouvoir voter et être candidat lors des prochaines élections municipales et territoriales.

En effet, les juridictions ne sont pas inattentives aux répercussions institutionnelles que pourraient produire leurs décisions[8] et si, comme en l’espèce, la loi autorise une lecture qui soit compatible avec l’état du droit, elles consacrent cette solution.

Il n’y a là aucune étrangeté ni de privilège conféré au puissant.

De même que les «lois» votées cherchent à être le reflet des aspirations des citoyens afin d’être «effectives» (c’est-à-dire respectées), la mise en œuvre de la «loi», effectués par les praticiens, ne s’abstrait jamais de l’environnement social et politique dans lequel elle s’inscrit. Or, dans l’affaire qui nous préoccupe, entre deux interprétations, dont l’une attente aux droits fondamentaux politiques du citoyen et l’autre favorise ces mêmes droits, il n’y avait là rien que de très banal que de faire prévaloir cette dernière solution.

C’est un mythe de croire qu’à toute situation juridique donnée, il est possible d’apporter une seule et «bonne» réponse qui soit déduite d’une analyse exclusivement théorique. La même règle de droit n’est jamais appréciée de la même manière selon l’époque et l’espace dans lequel les acteurs sociaux sont amenés à en faire application.

Certes, pourrait-on objecter, la «jurisprudence Flosse» favorise le dessein d’un justiciable qui n’est pas ordinaire et c’est bien un «puissant» qui bénéficie d’un privilège. Mais, justement, il n’y a là aucune coïncidence «troublante»: Ce type de requête ne concerne que très rarement le commun des mortels mais plutôt (sinon exclusivement) les leaders politiques.

En effet, sur les quelques requêtes tendant au même objet que celui visant à éliminer du jeu politique, M Flosse, seuls des hommes politiques (élus et qui souhaitaient à nouveau se présenter aux élections) ont été visés par ces procédures).

La morale de ce point de vue est simple: s’il faut éliminer politiquement le Président Flosse, utilisons «les armes» que la démocratie met à notre disposition: le débat et le vote.

LAW AND POLITICS: THE CASE FOR STRIKING PRESIDENT FLOSSE OFF THE ELECTORAL ROLL

President Flosse was on the electoral roll for Pirae. It was claimed that he should have been on the roll for Arue. The rolls had been closed for the elections of 2001. If President Flosse was struck off the Pirae roll, was he then unable to vote or be elected in the 2001 elections?

Alain Moyrand comments here on the court cases involved and on the interplay of law, politics and fundamental rights.


[*] Maître de Conférences à l’Université de la Polynésie Française.

[1] Jugement du 7 mars 2001, Tribunal de Première Instance de Papeete (Contentieux des élections politiques).

[2] Ibid.

[3] Arrêt numéro 781 FS-PB, audience du 9 mars 2001 (Affaire M G Flosse / M J Pomare).

[4] Voir I supra.

[5] Conseil constitutionnel, 11 janvier 1990.

[6] Conseil constitutionnel, 10-11 octobre 1984.

[7] Bien que «comparaison ne soit pas raison ».

[8] A fortiori dans les communautés à faible densité de population.


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