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Victoria University of Wellington Law Review

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Michaux, Patrick --- "L'Organisation Judiciaire en Polynesie Francaise" [2001] VUWLawRw 35; (2001) 32(3) Victoria University of Wellington Law Review 729


L’ORGANISATION JUDICIAIRE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Patrick Michaux[*]

En Polynésie française le principe d’organisation judiciaire sont les mêmes qu’en France Métropolitaine avec cependant quelques particularités (principalement tribunal de première instance avec deux sections détachées à Raiatea pour les îles sous le vent et à Nuku-Hiva pour les Marquises, présence d’un magistrat professionnel au sein du tribunal de commerce et du tribunal du travail).

La Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière dont la mission est double (instruction préalable des dossiers de litiges fonciers avant saisine de la juridiction contentieuse et médiation entre les parties, suivie d’un jugement d’homologation de l’accord éventuel) forme avec la justice foraine deux autres éléments fondamentaux et originaux de l’organisation juridictionnelle en Polynésie Française.
Statuant en matière civile et pénale, pour l’archipel des îles Australes à Rurutu et à TUBUAI, pour l’archipel des Tuamotu-Gambier à Rangiroa, Hao, Mangareva et Rikitea au Marquises à Nuku-Hiva, Ua Pou et Hiva Oa la justice foraine, bien qu’encore perfectible, répond à une demande que l’on sent très forte dans l’ensemble des archipels de la Polynésie.

Ce n’est pas sans une certaine émotion que j’interviens ce soir dans cette enceinte, car j’y ai moi-même enseigné en licence le droit du travail entre 1990 et 1993 et j’en ai gardé d’excellents souvenirs.

J’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises et publiquement de regretter qu’il n’y ait à ma connaissance aucun magistrat d’origine polynésienne au sein de la magistrature française. J’ai des collègues réunionnais, martiniquais, guadeloupéens et même néo-calédoniens. Il y a en effet un juge au Tribunal de première instance de Nouméa, qui est d’origine canaque.

Je souhaite ardemment que parmi vous il y ait un jour un ou plusieurs candidats au concours d’entrée de l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Si ma présence aujourd’hui pouvait donner l’idée à certains d’entre vous d’envisager cette carrière, j’en serais profondément satisfait. Sachez aussi que celui ou ceux qui décideront de passer ce concours, seront les bienvenus au Palais de Justice de Papeete. Il existe notamment un collègue chargé des relations avec l’école et un autre qui y a été Maître de Conférences. Ils seront heureux de vous aider et de vous informer.

Après ce préambule publicitaire je vais aborder le sujet de mon intervention en vous brossant un tableau de notre organisation judiciaire avant d’insister tout particulièrement sur une particularité importante de notre organisation en Polynésie française, à savoir la justice foraine.

Vous connaissez l’architecture générale de notre organisation judiciaire en Métropole avec les juridictions de droit commun que sont les tribunaux d’instance, les tribunaux de grande instance, les Cours d’appel et les juridictions spécialisées, conseils de prud’hommes, tribunaux de commerce, commissions de première instance de sécurité sociale, juridiction de l’expropriation, les tribunaux des pensions sans oublier évidemment les tribunaux pour enfants. Au-dessus bien entendu règne notre Cour Suprême: la Cour de Cassation.

En Polynésie française le principe d’organisation est naturellement le même avec cependant quelques particularités.

D’abord il n’y a pas de distinction entre tribunal d’instance et tribunal de grande instance, ces deux juridictions n’en formant qu’une qui s’appelle tribunal de première instance. Ce tribunal, composé de 16 magistrats du siège et de 5 magistrats du Parquet, comporte une autre originalité avec l’existence de deux sections détachées constituées par un juge président de section et un secrétariat-greffe.

Ces sections sont localisées à Raiatea pour les îles sous le vent et à Nuku-Hiva pour les Marquises. Ces magistrats connaissent de tout le contentieux civil et pénal à juge unique. Ainsi les habitants des Iles sous le vent et des Marquises bénéficient d’un juge résident, qui permet à la justice de se rapprocher du justiciable, au même titre nous le verrons plus loin que la justice foraine.

Par ailleurs il existe trois juridictions spécialisées le tribunal pour enfants, identique à ceux de métropole, le tribunal du travail et le tribunal mixte de commerce.

Le tribunal du travail présidé par un juge professionnel comporte quatre assesseurs, deux représentants les salariés et deux les organisations patronales. Cette juridiction diffère sensiblement du Conseil de Prud’hommes de Métropole qui ne comporte pas de juge professionnel.

De même le tribunal mixte de commerce, présidé par le Président du Tribunal de première instance ou son délégué, est composé de trois assesseurs commerçants élus par leurs pairs. Paradoxalement aujourd’hui, compte tenu des problèmes qui ont agité les tribunaux de commerce en Métropole, lesquels ne comportent aucun magistrat professionnel, le Ministère de la Justice a notamment pris pour exemple le bon fonctionnement des tribunaux mixtes de Commerce d’Outre Mer, pour préparer une réforme consistant à introduire un magistrat professionnel au sein des tribunaux de Commerce métropolitains.

Les décisions de l’ensemble de ces juridictions peuvent être soumises en cas d’appel à la Cour d’Appel de Papeete. Cette juridiction d’appel ne diffère pas des 34 autres Cours d’appel de Métropole et d’Outre-Mer. Toutefois la chambre d’accusation de notre Cour, juridiction d’appel des décisions des juges d’instruction, est composée d’un membre de la Cour et de deux autres magistrats du ressort désignés par le Premier Président, alors qu’en Métropole les chambres d’accusation ne sont composés que de magistrats de la Cour d’Appel.

De même la cour d’appel de Papeete, compte tenu du faible nombre de ses magistrats (5 au siège, 2 au Parquet) peut se compléter en cas de nécessité avec des magistrats du T.P.I., ce qui n’est pas possible en Métropole.

Il existe enfin une Cour d’Assises pour la Polynésie française qui juge les affaires criminelles avec 3 magistrats et 9 jurés populaires comme en Métropole.

A partir du 1er janvier prochain, je vous le signale, il sera possible de faire appel des décisions des Cours d’assises. Dans ce cas la Cour d’assises devra comporter 12 jurés au lieu de 9.

Nous allons aborder maintenant plus en détail la justice foraine, son organisation, les raisons de son existence, ses avantages et ses inconvénients.

I JUSTICE EN POLYNESIE FRANCAISE, JUSTICE FORAINE: JUSTICE DE PROXIMITE

Si l’appellation de justice foraine peut parfois prêter à sourire et évoquer dans l’esprit de certains quelque colporteur du moyen âge exerçant sous une modeste toile de tente, il n’en reste pas moins que cet exercice décentralisé de la justice répond à une demande que l’on sent très forte dans l’ensemble des archipels de la Polynésie.

Cette présence de la justice se manifeste sous deux aspects très différents selon qu’il s’agisse de la justice pénale ou civile.

A La justice pénale

L’île de Tahiti, siège des juridictions de première instance et d’appel de la Polynésie française ne traite pas de l’ensemble du contentieux pénal.

En effet l’organisation de tournées foraines pour le tribunal correctionnel jugeant les délits et pour le tribunal de simple police jugeant les contraventions s’est avérée utile et efficace.

C’est ainsi que suivant des périodicités qui varient en fonction du nombre de dossiers à juger, le Premier Président peut autoriser le Tribunal de première instance à tenir des audiences foraines dans les communes qu’il détermine.

Actuellement le Président du tribunal de première instance de Papeete ou son délégataire siégeant à juge unique ou en collégialité avec deux des juges de sa juridiction, tient audience:

Le juge de la section des Marquises, seul, ou en formation collégiale, assisté de deux juges de Papeete qui lui sont délégués par ordonnance du Premier Président, siège à Nuku-Hiva, Ua Pou et Hiva Oa.

Le juge des îles Sous le Vent, dans les mêmes conditions, et suivant le même mode de fonctionnement que son collègue des Marquises, siège à Raiatea, Tahaa, Huahine et Bora Bora.

A chacune de ces audiences, le ministère public est tenu par un magistrat du parquet de Papeete.

Ces diverses audiences foraines permettent aux justiciables d’éviter d’avoir à se déplacer sur de longues distances pour être jugés, car il serait pour le moins injuste de contraindre même l’auteur d’un délit à prendre en charge le coût souvent exorbitant d’un transport, et de cette manière de le sanctionner en quelque sorte doublement.

De plus, la présence du tribunal sur le lieu même où a été commise l’infraction permet, outre de prendre en considération les différences significatives de chaque archipel, de faire comprendre à la population que l’acte délictueux ne reste pas impuni. Il contribue ainsi à une œuvre de prévention d’autant plus nécessaire que nombre d’îles sont dépourvues de toute présence permanente de police ou de gendarmerie, et donc de référence à la loi.

Les rares peines d’emprisonnement fermes prononcées aux Iles Sous le Vent ou aux Marquises peuvent être exécutées dans les deux établissements pénitentiaires de Raiatea ou Nuku-Hiva, qui permettent d’éviter le transfert des condamnés à Papeete.

Par ailleurs, le juge d’application des peines, assisté des agents du Service d’Insertion et de Probation, prennent en charge à l’issue de chaque audience correctionnelle foraine les condamnés aux peines suivantes:

Le contrôle de la bonne exécution de ces peines est ensuite assuré par les maires ou par les brigades de gendarmerie locale, ou encore par les gendarmes de la Brigade itinérante côtière dans les îles où il n’existe pas de brigade, sous mandat du juge d’application des peines.

Enfin, agissant en matière pénale sur commission rogatoire du juge des enfants, le juge forain procède aux mises en examen des mineurs résidant dans les îles Tuamotu-Gambiers-Australes. Pour les délits les moins graves, généralement des atteintes aux biens ou aux personnes de faible importance, il « admoneste » le jeune délinquant en présence de parents et souvent des victimes. Statuant ensuite en matière civile il liquide les dommages et intérêts et met en place l’échéancier d’indemnisation.

A titre anecdotique il arrive que dans les îles ou atolls très isolés, où la circulation d’espèces est faible, l’indemnisation soit fixée en kilos de poisson ou en seaux de coquillages.

Dans les archipels des Marquises et des îles sous le vent, le juge de la section détachée assure les attributions du juge des enfants.

B L’exercice de la justice civile

Les juges de section pour les archipels des Marquises et des Iles Sous le Vent, le juge délégué de Papeete pour les archipels des Tuamotu, des Gambiers et des Iles Australes essayent de multiplier leurs déplacements pour couvrir les îles placées dans leur ressort territorial.

Ces audiences foraines civiles recouvrent un contentieux très divers: contentieux général civil en matière de responsabilité et de paiement, litiges fonciers, procédures de recouvrement des créances, adoptions, divorces, exercice de l’autorité parentale, pensions alimentaires, inscriptions sur les listes électorales.....

II DANS UN SOUCI DE PRAGMATISME, LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE DE POLYNÉSIE FRANÇAISE A ÉDICTÉ DES RÈGLES DE PROCÉDURE QUI S‘ÉCARTENT SENSIBLEMENT DU FORMALISME DE DROIT COMMUN

C’est ainsi que, statuant en audience foraine, le juge est saisi verbalement par le demandeur.

Le défendeur est alors convoqué par tous moyens, souvent par le « mutoï » municipal. Les défenses sont aussi présentées verbalement. Tous ces éléments sont consignés sur procès verbaux, par le truchement du greffier du juge forain, qui fait office d’interprète.

Eu égard à l’extrême étendue du ressort et à la grande mobilité des populations locales, c’est souvent à l’issue d’un périple de plusieurs milliers de kilomètres que le dossier trouvera son aboutissement dans un jugement.

Le demandeur ayant saisi le juge à Mataiva, l’un des défendeurs ayant été entendu à Reao et l’autre aux îles Australes, le jugement sera rendu à Papeete et notifié aux parties par les agents municipaux.

Ces juges forains travaillent beaucoup sur commission rogatoire que leur délivrent les collègues du Tribunal de première instance de Papeete qui pour mener à bien leurs procédures doivent faire procéder à des enquêtes, à des auditions de témoins ou à des productions de pièces. Ils répondent aussi, autant que faire se peut, aux demandes du juge des enfants, du juge aux affaires familiales et des juges d’instruction.

Il règle de nombreux litiges, surtout en matière d’état des personnes (exercice de l’autorité parentale, divorce, contribution aux charges du ménage, adoption) mais également en matière de paiement de créances, accident de la circulation).

Il est aussi et surtout un juge de la conciliation à chaque fois que le règlement de petits conflits ne nécessite pas la saisine de la juridiction, mais plutôt, la médiation d’un juge investi d’autorité et d’impartialité naturelles.

L’exercice de la fonction de juge forain est souvent délicat, une solide constitution physique s’impose car les déplacements sur de frêles embarcations sont fréquents, parfois longs et ce quelque soit l’état de l’océan. Il est également nécessaire de faire preuve de patience dans les interminables discussions qui précèdent souvent le règlement d’un différend et parfois faire preuve d’imagination pour proposer des solutions transactionnelles. Il n’est pas rare non plus d’être sollicité par les parties pour effectuer des transports sur les lieux insolites par exemple à 15 mètres de fond pour régler un litige portant sur le nombre de nacres contenues dans un collecteur. Le juge doit alors troquer sa toge pour une combinaison de plongée assortie de bouteilles d’oxygène (pour peu qu’il soit plongeur bien sûr). Tels sont là en effet quelques exemples d’une pratique judiciaire certes originale mais pourtant courante.

Outre cette activité de règlement des conflits d’intérêts privés, le juge forain exerce également une importante mission de conseil tant au niveau des mairies éloignées pour ce qui concerne les règles de fonctionnement de l’Etat-civil que pour les particuliers qui, faute de pouvoir s’adresser à un notaire, un huissier ou un avocat, viennent chercher auprès du juge les renseignements nécessaires à leurs différentes démarches. Cette fonction est essentielle car elle permet aux populations éloignées d’obtenir une information objective, pratique et souvent suivie d’effets positifs et rapides surtout lorsque le juge est accompagné dans ses visites par les différents services territoriaux.

Il ne peut toutefois être question d’évaluer cette forme de justice en termes statistiques ou de coûts d’intervention, car si la mission de service public de la justice ne dépendait que de cela, elle aurait dû être depuis bien longtemps abandonnée pour ces archipels décentrés.

A Une Organisation encore Perfectible

La présence du juge dans les différents archipels de Polynésie française est une nécessité que personne ne peut aujourd’hui contester, et la demande de justice que l’on rencontre dans ces îles éloignées justifie à elle seule que cette présence soit poursuivie voire accentuée. Mais la seule présence des juges, si elle permet dans de nombreux cas de résoudre les conflits ou de répondre à une demande de renseignements d’ordre juridique, ne peut régler l’ensemble des situations conflictuelles car la tâche du juge est rendue difficile voire impossible par divers obstacles externes à son action.

1 Les difficultés de communication

Elles existent à deux degrés:

Il appartient donc au juge, non seulement de trancher, mais aussi d’expliquer le fonctionnement du système judiciaire ainsi que la décision qu’il vient de prendre et ce surtout à l’intention des franges les plus âgées de la population, les jeunes ayant quant à eux déjà mieux intégré le monde moderne auquel ils sont confrontés.

Les anciens - est-ce une survivance des traditions passées? - considèrent que le juge peut tout. Il est au-dessus des lois, confiez-lui une affaire et il se chargera bien de la régler tout seul. Combien de fois n’a-t-on pas vu certains justiciables se désintéresser totalement et en toute bonne foi, de leur affaire à partir du moment où ils avaient saisi le juge d’une requête et ce sans fournir « la moindre pièces justificative ». De même a-t-on souvent proposé au juge forain de manger de la tortue (mets naguère réservé aux nobles et hôtes de marque) alors que l’espèce est totalement protégée, et lorsque celui-ci en fait la remarque à ses hôtes et refuse poliment, ces derniers lui répondent, « mais toi tu peux car tu es le juge ».

Il est encore très difficile de faire saisir aux populations la différence, parfois subtile il est vrai, qui existe entre la justice pénale qui réprime les infractions et la justice civile qui résout les conflits privés et ce n’est pas sans une certaine crainte que l’on vient voir le juge pour faire rectifier une erreur d’orthographe dans son Etat-civil.

A ces difficultés de communication s’ajoutent souvent celles engendrées par l’absence de certains auxiliaires du juge.

2 L’absence de certains auxiliaires du juge

De nombreux auxiliaires interviennent en amont ou en aval de la décision de justice facilitant ainsi la prise de décision du juge ou assurant son exécution. L’institution judiciaire en décentralisant une partie de son activité dans les archipels de Polynésie n’a pas été suivie par ses auxiliaires habituels ; ainsi les juges des sections détachées ou le juge forain se trouvent fréquemment dans l’impossibilité de recourir à ces aides qui leur sont pourtant indispensables.

Le manque de personnel socio-éducatif entraîne pour le juge des difficultés de fonctionnement, puisque privé de renseignements indispensables, il se trouve peu éclairé lorsqu’il doit prendre des mesures d’assistance éducative, d’attribution d’autorité parentale ou d’ordre pénal.

Il n’est pas rare que le juge, assisté de la greffière, procède lui-même aux enquêtes sociales préalables à la décision, sous forme d’un transport sur les lieux en vue d’apprécier les conditions d’existence de la famille et de procéder aux auditions utiles.

L’absence d’expert sur place fait hésiter le juge à ordonner une mesure d’expertise qui entraînera pour la partie qui la réclame, souvent avec pertinence, des frais qu’elle ne pourra assumer (frais de déplacement et d’hébergement de l’expert). Dans une procédure opposant un garagiste qui refusait de restituer le véhicule d’un client qu’il avait réparé et qui ne pouvait obtenir le règlement de sa facture, et le client qui opposait à la demande du paiement un refus obstiné, estimant que des travaux d’une si grande importance n’auraient jamais dû être engagés, seule une mission d’expertise aurait pu résoudre un pareil conflit. Dans cette île éloignée des Marquises, le juge tenta la conciliation mais n’y parvint pas. Le véhicule fut repris par le client à l’aide de graves violences, et si le juge civil ne put remplir sa mission faute d’expert, ce fut au juge correctionnel de tenter de rappeler que les différends entre particuliers ne se règlent pas par la force.

Il en est de même pour les experts géomètres. Le difficile problème du contentieux des terres touche, on le sait, l’ensemble de la Polynésie, mais là encore les îles éloignées ne bénéficient pas des mêmes possibilités que l’île de Tahiti. Nombre de décisions de justice sont ainsi bloquées dans leur exécution faute du passage d’un géomètre pour délimiter les terres à partager et pour procéder à leur bornage.

Il résulte de ces carences que les efforts de décentralisation judiciaire, pourtant nécessaires et répondant à un réel besoin des populations, ne produisent pas tous les résultats que l’on pourrait espérer.

Enfin il y a le problème des avocats.

Nul aujourd’hui ne doute que la contribution de l’avocat est indispensable au bon fonctionnement de la justice. Si, comme nous l’avons vu, les magistrats en charge des sections détachées ou le juge forain ne se contentent pas de juger mais sont souvent consultés pour des renseignements d’ordre juridique ils ne peuvent cependant remplacer la présence d’un conseil. Le juge trouve rapidement les limites de cette activité dans l’éthique même de sa fonction, car il est très vite confronté à la frontière mal définie qui existe entre le renseignement objectif et le conseil sur la façon d’agir ou le choix de la procédure à engager que seul un avocat peut apporter et ce surtout si le juge est par la suite amené à trancher le litige. La présence d’un avocat fait donc cruellement défaut dans les archipels de Polynésie (seul celui des îles Sous le Vent dispose de 3 cabinets) et ce tant lors de la tenue des audiences pénales foraines que lors de la formalisation plus fréquente d’un contentieux civil. A défaut de la présence permanente d’un avocat dans chaque archipel il s’avère judicieux qu’à tour de rôle un avocat accompagne le Tribunal ou le juge forain lors de leurs déplacement. L’avocat apporte sa contribution au bon fonctionnement de la justice en assistant les justiciables qui le souhaitent, ce qui est un des principes fondamentaux de notre droit.

Lors des tournées foraines il est désormais plus fréquent que dans le passé d’avoir la présence d’un avocat qui va se tenir ainsi à la disposition des justiciables.

* * *

Il existe enfin une autre institution originale en Polynésie française issue de l’article 28 de la Loi du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l’Outre-Mer et du décret d’application du 6 janvier 1997. En effet ces textes ont institué la Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière dont la mission est double:

La Commission a été mise en place au 1er juillet 1998. Après deux années de fonctionnement, on constate que 25 % des affaires donnent lieu à médiation dans un délai moyen de 18 mois. 75% des affaires sont ensuite renvoyées devant la juridiction civile dont les délais de mise en état sont sensiblement réduits par le travail d’instruction déjà opéré devant la Commission.

Les nouveaux textes ont créés une structure décentralisée adaptée à la configuration géographique de la Polynésie française, puisqu’en effet, la Commission comporte 5 compositions:

lesquelles, sous la présidence d’un magistrat, comprennent l’administrateur territorial de chaque archipel, pratiquant la langue locale.

Dans la pratique, la Présidence de la Commission est assurée, pour les îles du Vent et les îles sous le vent, par un magistrat en position de retraite et pour les autres archipels par le juge forain.

Ce dispositif permet au juge forain, assisté de son greffier et des fonctionnaires territoriaux mis à disposition de la Commission, de traiter le contentieux foncier dans la phase d’instruction et de médiation, puis dans la phase contentieuse, et d’assurer sur place à l’occasion des tournées foraines, à la fois le recueil des requêtes verbales et les travaux d’instruction, enquêtes et transports sur les lieux.

* * *

Pour conclure, je tiens à faire une légère digression vers la procédure. En effet si les règles de droit pénal et de procédure pénale sont de compétence d’Etat, ce qui veut dire que le code pénal et le code de procédure pénale sont de plein droit applicables en Polynésie française, il n’en est pas de même pour la procédure civile qui est de compétence territoriale. La procédure civile est donc spécifique et la Cour d’appel en liaison avec les avocats et les juristes du territoire a constitué une Commission permanente qui se réunit régulièrement pour toiletter et améliorer cette procédure en proposant au Territoire des modifications bien entendu fortement inspirées des règles métropolitaines.

Il faut cependant noter une différence essentielle, c’est l’absence de représentation obligatoire par avocat et l’absence d’avoués à la Cour d’appel. Chacun peut donc faire un procès civil ou se défendre par ses propres moyens. D’où l’existence autour du Palais de multiples conseillers juridiques officieux, sans formation, qui grugent leurs clients en leur faisant croire en un savoir juridique qu’ils n’ont pas. Ils utilisent un langage pseudo-juridique qui n’a souvent aucun sens pour un vrai juriste mais qui fait impression sur les personnes qui ne connaissent rien au droit.

Les magistrats souhaitent donc, pour l’égalité des armes parvenir à une modification des textes imposant la représentation obligatoire par avocat. Ce sera chose faite à compter du 1er janvier 2001 pour la Cour d’appel. Nous espérons ensuite que cette obligation s’étendra au Tribunal de première instance pour les mêmes matières qu’en Métropole.

JUDICIAL ORGANISATION IN FRENCH POLYNESIA

This is the speech of the First President of the Court of Appeal of Papeete given in Papeete on 28 November 2000. He describes the court system of French Polynesia and makes special reference to the structural and procedural features that distinguish the system from that of the Metropole. He also comments on some of the practical realities of delivering justice in such a widely dispersed Territory.


[*] Premier Président de la Cour d’Appel de Papeete. Le texte ci-après reproduit, reprend les propos tenus par Monsieur le Premier Président Michaux dans le cadre d’une conférences organisée le 28 novembre 2000, sur le campus universitaire de Punaauia, par l’Association de Législation Comparée des Pays du Pacifique et l’Université de la Polynésie Française.


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