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Victoria University of Wellington Law Review

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Ferrand, Jerome --- "Entre Ville Et Montagne: L'arbitrage Familiale Dans Le District De Grenoble" [2004] VUWLawRw 16; (2004) 35(2) Victoria University of Wellington Law Review 447


ENTRE VILLE ET MONTAGNE: L'ARBITRAGE FAMILIAL DANS LE DISTRICT DE GRENOBLE PENDANT LES PREMIèRES ANNéES DE LA RéVOLUTION (1790-1792)

Jerome Ferrand[*]

Institués par la loi du 16-24 août 1790, les tribunaux de famille régionaux utilisaient l'arbitrage comme mode conventionnel de résolution des conflits. Cet article examine le rôle des hommes de loi dans l'arbitrage familial, en faisant une comparaison entre la situation à Grenoble, et dans les montagnes environantes. Ce contraste illustre les difficultés liées à l'installation et au fonctionnement des tribunaux de famille pendant les premières années de la Révolution. Néanmoins, le caractére informel du système de l'arbitrage familial a permis la résolution des conflits qui ne seraient pas autrement résolu.

Established by the law of 16-24 August 1790, the regional family tribunal of Grenoble used arbitration as the conventional form of dispute resolution. This article examines the role of the legal profession within family arbitration, while comparing the situation in Grenoble and in the surrounding mountains. This contrast illustrates the difficulties involved in the installation and operation of family tribunals in the first years of the Revolution. Nevertheless, the informal nature of family arbitration permitted the resolution of conflicts that would not otherwise have been resolved.

Bien que véhiculant parfois une image anachronique,[1] le tribunal de famille ne cesse de piquer la curiosité des chercheurs.[2] Aux travaux théoriques ou généraux[3] s'ajoutent des monographies qui éclairent les pratiques locales en s'organisant le plus souvent autour du thème récurrent de la réception des lois de la Révolution dans les anciennes provinces du royaume de France.[4] Malgré leur diversité et la variété de leurs approches, ces études conduisent leurs auteurs à des conclusions voisines.

Il faut remarquer en effet que la brièveté de l'institution n'a pu favoriser le développement de pratiques régionales marquées. Instaurés par la loi des 16-24 août 1790,[5] les tribunaux de famille disparaissent le 9 ventôse an IV (29 février 1796).[6]

La raison de leur suppression peut apparaître d’autant plus mystérieuse que cette institution participe de la philosophie générale de la loi des 16-24 août 1790 tendant à généraliser l’arbitrage comme mode conventionnel de résolution des conflits.[7]

Ainsi, parce que le caractère intime de certains litiges doit les préserver des modes classiques de règlement judiciaire, la loi des 16-24 août 1790 prévoit dans son article 12 que «s'il s'élève quelque contestation entre mari et femme, père et fils, grand-père et petit-fils, frères et sœurs, neveux et oncles, ou entre alliés aux degrés ci-dessus, comme aussi entre pupilles et leurs tuteurs pour choses relatives à la tutelle, les parties seront tenues de nommer des parents, ou, à leur défaut, des amis ou voisins pour arbitres, devant lesquels ils éclairciront leur différend, et qui, après les avoir entendues et avoir pris les connaissances nécessaires, rendront une décision motivée».[8]

Dans l'esprit du législateur, chaque tribunal de famille est donc unique, tant par la composition de ses membres que par la nature du différend à l’origine de sa convocation. Autant de litiges opposant des parents s'élèveront, autant de tribunaux de famille différents se constitueront. Dès lors, exceptés les cas où un tribunal domestique est contraint de proroger sa reunion,[9] une telle assemblée a vocation à ne siéger qu'une seule fois dans un endroit déterminé. Aucun bureau pour servir de greffe, aucun endroit attitré pour tenir lieu de salle d'audience. A fortiori, aucun personnel attaché, de manière permanente, au fonctionnement du tribunal, ni aucun juge désigné pour remplir cette mission. Autant de caractéristiques empêchant, a priori, la constitution d'un corpus de personnes susceptibles d'avoir la mainmise sur le contentieux familial.

Dans son Traité du tribunal de famille publié en 1791, Augustin Charles Guichard veut y voir un lieu de «conciliation inévitable» d’où seraient écartés les «hommes de loi» afin que les contestations familiales ne soient pas renvoyées au «scandale des tribunaux». Il appelle de ses vœux une justice paisible, exercée par des hommes vertueux et confiée à des personnes simples plutôt qu’à des juges de métier venus de la ville.

Quoique répandue, une telle vision n’est cependant pas partagée par tous. Certaines voix s'élèvent à la tribune de l'Assemblée pour exprimer la crainte de voir la qualité des jugements de famille altérée par le manque d'expérience des arbitres appelés à concilier les parties ou, le cas échéant, à trancher définitivement leurs différends.[10]

Surtout, la perspective de voir le contentieux familial échapper aux professionnels de la justice, peut s’avérer particulièrement sensible dans les villes imprégnées de culture parlementaire. En effet, en reléguant Grenoble - ancienne capitale provinciale et ville de parlement,[11] au rang de simple chef-lieu de district,[12] la refonte administrative et judiciaire suscite un certain émoi chez les personnes destituées de leurs anciennes fonctions et prérogatives: «Comment songer de sang-froid, écrit un correspondant de Barnave le 16 septembre 1790, que cinq juges et quatre suppléants vont remplacer, dans quinze jours, trois tribunaux souverains, cinq à six sièges royaux, près de cent subalternes et une légion de magistrats de toutes les espèces! Quel vide pour Grenoble! Que de malheureux réduits à l'inaction! Il faut s'élever à la hauteur de l'intérêt général et se bien pénétrer de l'amour de la Patrie, pour n'être pas brisé de douleurs à l'aspect d'un si grand bouleversement».[13]

Le vide ainsi créé par la disparition des anciennes institutions pousse les gens de la basoche à se reconvertir. Va-t-on les voir – à l'instar de leurs confrères de Montpellier, Rieux, Rouen, Dijon, Bordeaux, Caen, Rennes, Nice ou Lyon,[14] investir massivement les nouvelles structures judiciaires, et notamment les tribunaux de famille? La reconversion de ces juristes ne sera-t-elle pas d’autant plus aisée que la population se montrera réticente à confier les litiges familiaux à des non professionnels, choisis moins pour la solidité de leurs compétences juridiques que pour la grandeur de leur réputation?

Ces interrogations – qui occupent encore les esprits de certains historiens et sociologues contemporains[15] – ne peuvent être dissipées qu’en confrontant de manière systématique les données recueillies pour la ville de Grenoble et le canton d'Oisans.[16] La comparaison ville/montagne permet en effet de dégager les particularismes locaux, tout en rendant possible une réflexion orientée sur les terrains de la conscience juridique d'une population hétérogène et sur celui de la résistance de pratiques régionales séculaires aux idées nouvelles véhiculées par la législation révolutionnaire. Les sentences des tribunaux de famille fournissent alors de précieux renseignements sur le degré de connaissance et de conscience juridiques[17] de la population de l'ancien Dauphiné, ainsi que sur la force de pénétration des décrets de l'Assemblée nationale dans certaines enclaves du territoire français.

Toutefois, pour cerner au plus près la pratique de l’arbitrage familial, il est nécessaire d'interrompre la recherche à la fin de l'année 1792. En effet, tenter de saisir une institution dans toute sa spontanéité suppose un cadre légal suffisamment souple pour ne pas atrophier les comportements des populations, qu'elles soient citadines ou rurales. Or, par leur généralité même, les articles 12 et 13 de la loi des 16-24 août 1790 laissent aux parties autant qu'aux arbitres une marge de manœuvre suffisamment large[18] pour trahir la plupart comportements juridiques ancrés dans les mentalités. Mais, cette liberté originelle, qui permet à l'initiative des acteurs de l'arbitrage familial de s'exprimer pleinement, est restreinte par les lois relatives au divorce et aux successions[19] venant toutes deux affiner la procédure à suivre devant les tribunaux domestiques et préciser certaines règles de fonctionnement.

Aussi, afin de ne pas altérer les informations précieuses révélées par la pratique initiale de l'arbitrage familial (c'est-à-dire celle qui s'était développée devant les tribunaux de famille jusqu'à ce que ces lois entrent effectivement en vigueur), apparaît-il important de ne pas prolonger l'investigation au-delà de l'année 1792.

Au final, cette étude déjà limitée par son objet, l'est également par sa durée. Néanmoins, l’examen comparatif de l’arbitrage familial pratiqué à Grenoble (I) et dans les montagnes environnantes (II) témoigne des difficultés liées à l’installation et au fonctionnement des tribunaux de famille pendant les premières années de la Révolution.

I L'ARBITRAGE FAMILIAL DéNATURé PAR L'INTRUSION DES HOMMES DE LOI: L'EXEMPLE DE LA VILLE DE GRENOBLE

On sait les notables grenoblois préoccupés par les bouleversements, tant économiques que politiques, générés par la nouvelle organisation administrative et judiciaire.[20] Ces motifs d'inquiétude ne manquent pas de s'étendre au corps des juristes puisque la seule «disparition du Parlement de Grenoble affecte environ 630 personnes, tant magistrats et avocats qu'auxiliaires de justice».[21]

Le déclin annoncé du petit monde de la basoche ne semble, en revanche, guère émouvoir la presse locale: «Pauvres robins, que vous êtes petits! Votre règne est passé ... [le peuple] est désabusé ... et il sait fort bien que vous vous engraissiez à ses dépens et que vous ne criez si fort que parce que l'Assemblée nationale vous a ôté la faculté de le ronger à l'avenir».[22]

Poussé le jour même de la ratification par le roi de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire, ce cri patriotique s'inscrit dans un climat de franche hostilité à l'encontre des juristes.[23] Le corps des anciens magistrats, procureurs et avocats est, en effet, durement éprouvé par une série de mesures (mise en vacance puis suppression des parlements, proclamation du principe de l'élection des juges et de la gratuité de la justice, suppression de l'ordre des avocats...) dont l'initiative incombe souvent, ironie cruelle de l'histoire, à d'anciens avocats.[24]

Mais ce sabordage ostensible ne doit nullement être interprété comme un suicide collectif[25] car la majeure partie du personnel judiciaire de l'Ancien Régime trouve dans les textes – qu'on présente pourtant souvent comme leur étant défavorables – de précieux moyens de reconversion.[26]

Ainsi, à Grenoble comme ailleurs,[27] les gens de la basoche investissent les nouvelles juridictions,[28] y compris les tribunaux de famille. Parmi les 216 arbitres ayant siégé dans les 54 tribunaux domestiques grenoblois, on dénombre 82 avoués, 73 hommes de loi, 6 notaires et 2 défenseurs officieux.[29] Ces chiffres deviennent significatifs lorsqu'on les compare à l'ensemble des données recueillies pour le district de Grenoble: en l'occurrence, sur les 462 personnes désignées dans ce ressort pour remplir les fonctions d'arbitre, 84 sont avoués, 78 hommes de loi,[30] 66 notaires et 2 défenseurs officieux.[31]

Outre la confirmation du phénomène largement répandu de l'investissement massif des juristes au sein des tribunaux domestiques,[32] cette première constatation chiffrée permet d'établir que la présence d'hommes de loi et d'avoués au cœur de l'arbitrage «familial»[33] est un phénomène essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, citadin.[34]

La gangrène de l'institution par les praticiens du droit n'est pas à proprement parler illégale: l'article 12 du titre X de la loi des 16-24 août 1790 prévoit expressément que pour toute contestation impliquant les membres d’une même famille, les parties doivent nommer des «parents, ou, à leur défaut, des voisins ou amis pour arbitres, devant lesquels ils éclairciront leur différend».[35] Dès lors, un esprit malicieux pourrait faire remarquer que la proportion de juristes n'est pas une chose aussi exceptionnelle qu'on voudrait le faire croire, si l'on tient compte du fait que le nombre élevé d'avoués, hommes de loi ou notaires résidant en cette ville accroît la probabilité de compter ceux-ci parmi ses connaissances ou ses voisins.[36] Un esprit averti pourrait même s'appuyer sur la nature distendue des liens de famille en zone urbaine pour expliquer l'absence de parents susceptibles de remplir les fonctions d'arbitre et, par conséquent, louer le secours providentiel de personnes aussi compétentes que peuvent l'être les juristes.

Toutefois, l'état des indications fournies par les sentences arbitrales ne permettant pas de déterminer le degré de parenté entre les parties et les arbitres,[37] de telles considérations demeurent hypothétiques.[38] Eussent-elles pu trouver à s'appliquer en certaines espèces, elles ne peuvent expliquer la mainmise des juristes sur l'arbitrage familial à Grenoble. Aussi faut-il chercher ailleurs les raisons d'un tel phénomène.

Une des premières raisons procède incontestablement de la volonté manifestée par les parties au litige de s'attacher les services de personnes dont la compétence égale la réputation. Aussi, nombre de juristes ayant exercé naguère leur talent devant le Parlement ou la juridiction du bailliage et rebaptisés, pour la circonstance, homme de loi ou avoué,[39] sont-ils sollicités pour composer le tribunal de famille.

La démarche adoptée à cette occasion par les parties suit un schéma quasi invariable: après avoir requis préalablement les conseils avertis d'un juriste,[40] la partie désireuse de convoquer un tribunal de famille le charge de l'assister devant ladite assemblée, lorsqu'elle ne le désigne pas directement comme l'un de ses arbitres.[41] Bien que disposant de la faculté de révoquer les juges-arbitres proposés par la partie adverse,[42] le défendeur, mis ainsi devant le fait accompli, s'empresse de nommer à son tour un homme de loi ou un avoué, sinon deux, afin de renchérir sur son adversaire. De manière insidieuse, la désignation stratégique des arbitres pervertit l'esprit d'une institution à vocation conciliatoire. L'enjeu conduit les plaideurs à s'attacher les services de juristes renommés, ce qui revient à voir dans ceux-ci, moins des arbitres amenés à dégager une solution amiable, que des techniciens capables de s'extraire du maquis procédurier pour défendre au mieux leurs intérêts.

Ces considérations expliquent pourquoi, à Grenoble, près de 70 pour cent des arbitres nommés par les parties sont des juristes[43] alors que ces derniers ne représentent que le quart des arbitres pour le reste du district.[44] Il s'avère donc que l'omniprésence des avoués, hommes de loi et notaires dans la composition des tribunaux de famille, est imputable à la politique délibérée, mais pernicieuse, de nomination des arbitres par les parties.

Toutefois, cette volonté affichée de s'entourer de spécialistes ne suffit pas à expliquer que les trois-quarts des arbitres grenoblois soient des juristes[45] et que les deux tiers des tribunaux domestiques soient constitués exclusivement de praticiens du droit.[46] L’exubérance de ces chiffres tient à un autre phénomène.

Il arrive que dans une affaire opposant des parents, l'un d'eux, voire les deux, s'abstiennent de désigner ses arbitres. Lorsque survient cette situation, le juge pallie cette défaillance en nommant d'office les personnes amenées à composer le tribunal de famille.[47] C'est ainsi qu'à Grenoble le tribunal de district, puis les juge de paix[48] ont, dans 20 affaires, désigné deux, voire quatre, arbitres que les parties n'avaient pu ou voulu nommer.

Doit-on s'étonner que sur les 80 arbitres composants lesdits tribunaux, 66 appartiennent à la catégorie des jurists?[49] Attribuer la responsabilité de l’omniprésence des hommes de loi à une politique délibérée du juge est, à ce stade du raisonnement, un peu prématuré, car toutes les sentences ne précisent pas lesquels de ces arbitres ont effectivement été nommés d'office.

Dès lors, seule l'étude des jugements mentionnant un tel détail peut se révéler riche d'enseignements: pour les 7 affaires indiquant les individus désignés d'office – en l'occurrence 14 personnes nommées par le juge de paix de l'arrondissement occidental de Grenoble – on compte 7 hommes de loi, 3 avoués, 3 citoyens et un défenseur officieux. Si l'on ajoute que parmi ces citoyens, J-P Guedy (ancien procureur au Parlement de Dauphiné) siège deux fois, la proportion des juristes (qu'ils soient ou non en activité) désignés d'office par le juge de paix comme arbitres de famille s'élève à près de 95 pour cent.[50] Comment éprouver de la stupéfaction face à ce chiffre quand on sait que Mallein, ci-devant juge de paix de l'arrondissement occidental de Grenoble,[51] est également homme de loi? Constat délicat que la rémanence d'anciens réflexes corporatistes dans une organisation judiciaire qui devait, par l'effet «purificateur de l'élection», dissiper tout esprit de corps.[52]

Toujours est-il que la pratique des nominations d'office vient accentuer la tendance, déjà nettement marquée chez les plaideurs, consistante à désigner comme arbitre de famille un juriste plutôt qu'un parent.

De fait, à l'instar de ce qui se passe partout en France, la professionnalisation de l'arbitrage est patente à Grenoble. Une analyse plus fine montre cependant que, derrière l'invasion massive des juristes mise en évidence par la froide réalité des premiers chiffres, seule une minorité de personnes tire bénéfice du fonctionnement de l'institution.[53] Dès lors, voir certaines personnalités siéger, en moins de dix-huit mois,[54] dans une dizaine de tribunaux de famille différents ne passe pas pour un fait exceptionnel.[55]

Eu égard à la fréquence de ces interventions, il faut être bien candide pour envisager la fonction d'arbitre comme une activité gracieuse, sans autre contrepartie que la satisfaction subjective du devoir civique dûment accompli.[56]

Aussi, les «vacations» et «honoraires» sont-ils parfaitement transparents. Nul motif de craindre, comme cela peut être le cas en certains endroits, que la rareté des mentions à ce sujet ne dissimule des profits peu avouables.[57] Certes, on trouve bien un cas où la question semble être habilement passée sous silence,[58] mais, pour l'essentiel,[59] les arbitres grenoblois ne cachent pas le montant de leurs vacations, lequel se situe généralement dans une fourchette de 4 à 12 livres par personne et par séance.[60] Toutefois, si les honoraires perçus par les arbitres grenoblois ne sont pas anormalement élevés,[61] peu sont disposés à les refuser.[62]

Activité lucrative réservée à une minorité d'individus, la professionnalisation de l'arbitrage familial réintroduit les solutions contentieuses comme mode privilégié de règlement des litiges opposant des parents. Témoin de ce phénomène, l'échec de la conciliation: aucune solution amiable, aucun compromis autres que ceux ratifiant la volonté des parties sur le choix des arbitres, n'ont pu être recensés à Grenoble. Rien d'étonnant lorsqu'on sait que seulement 5 sentences mentionnent une tentative de conciliation des parties, alors qu'ailleurs cette entreprise est systématique.[63]

Il serait peu à propos d'expliquer un tel échec uniquement par la composition des tribunaux de famille,[64] mais les juristes ont, à n'en pas douter, leur part de responsabilité dans l'étendue du revers subi par les partisans d'une phase de conciliation préalable à tout règlement contentieux des différends familiaux. Une telle hypothèse est néanmoins difficilement vérifiable, la détermination des effets qu'a pu produire la présence d'arbitres professionnels sur la volonté de conciliation supposée des parties demeurant largement aventureuse. Par ailleurs, le contentieux familial étant en large majorité composée d'affaires de succession,[65] on peut douter, a priori – eu égard aux rancœurs habituelles soulevées par ce genre de différend – que les intentions des plaideurs aient véritablement été tournées vers la conciliation.[66]

Si la tendance à vouloir expliquer tous les maux du tribunal de famille par la sur-représentation des juristes au sein de l’institution doit être ici nuancée, certains travers apparaissent comme leur étant directement imputables. Point d'orgue de ces anomalies préjudiciables aux plaideurs, la démission collective d'un tribunal de famille: «Nous soussignés, arbitres désignés par Dame Magdelaine Adrienne Antoinette Patras, femme de Monsieur Duhatois, capitaine au régiment de Bouillon, résidente en cette ville, et par Monsieur François Patras de Lange son frère, suivant les actes respectivement signifiés, à l'effet de composer un tribunal de famille pour juger les différends qui s'élèvent entre les parties. Considérant qu'elles ne nous ont point autorisés de renvoyer à des experts, convenus ou nommés d'office, les opérations matérielles qu'il écherra de faire pour expédier à ladite dame Duhatois ses légitimes paternelle et maternelle, en corps héréditaire, conformément à sa réclamation, et qu'il nous seroit impossible de nous occuper de ces opérations, avons déclaré que nous ne pouvons accepter les susdites fonctions d'arbitres et nous avons déposé la présente au tribunal de district de cette ville». Signé: Royer des Granges; Jean-Pierre Duport; Dutrait des Ayes; Duchesne.[67]

L'impossibilité dont se prévalent ici les arbitres relève moins d'une improbable incapacité à remplir des fonctions d'expert[68] qu'aux exigences d'un agenda surchargé: outre l'activité déployée par ces personnes au sein d'autres tribunaux de famille – tant comme arbitres[69] que comme conseiller des parties[70] – et les nombreuses consultations inhérentes à leur profession d'homme de loi, elles plaident également devant le tribunal de district de Grenoble.[71]

On constate alors, non sans une légère pointe d’ironie, que certaines personnalités ne peuvent pourvoir à la demande qu'ils ont su si bien susciter. Cette indisponibilité toute relative des arbitres professionnels explique sans doute que leurs vacations soient plus élevées que celles d'un individu siégeant de manière intermittente dans les tribunaux de famille ou, a fortiori, que celles de modestes artisans. Ainsi, paradoxalement, alors qu'il incarne précisément le modèle de l'arbitrage voulu par le législateur, un tribunal de famille composé d'un citoyen, d'un charpentier, d'un perruquier et d'un tapissier, arbitres qui ne réclament au titre de leurs vacations que 8 livres et 8 sols – somme qui suffit à peine à couvrir les frais de rédaction, d'expédition, d'intimation et d'enregistrement du jugement – fait figure de singularité.

Mais les quelques dysfonctionnements générés çà et là par la professionnalisation de l'arbitrage «familial» sont largement compensés par la qualité des jugements rendus. En outre, bon nombre d'hommes de loi ayant participé activement à la pré-révolution grenobloise[72] ont à cœur d'apporter leur contribution au bon fonctionnement des nouvelles institutions.[73] Ces éléments sont une garantie de sérieux dans l'élaboration des sentences arbitrales. Cependant, l'absence de formation juridique n'est pas, le législateur l'avait bien compris, un empêchement absolu à l'exercice de la fonction d’arbitre. Les deux tribunaux de famille ne comptant, parmi leurs membres, aucun juriste – assemblées dont les jugements ne sauraient être remis en cause – en sont une parfaite illustration.[74]

D'ailleurs, de solides connaissances juridiques peuvent parfois se révéler d'un bien piètre secours devant la cocasserie de certaines situations: en l'occurrence, une maison s’était trouvée, conformément à la volonté testamentaire du père défunt, également partagée entre ses fils (Jean et François). Les deux frères auraient sans doute continué à vivre en parfaite harmonie si l'un d'eux n'avait, pour plus de commodité, fait construire des latrines et, à cette occasion, fait passer le tuyau d'évacuation dans une des parties communes. Furieux du préjudice, fut-il temporaire, causé par cette démolition, Jean dénonçait le nouvel œuvre et convoquait un tribunal de famille. Réuni le 12 novembre 1792 chez Duport-Préville, ce dernier permettait à François «de continuer sa construction pour l'établissement d'un nouveau siège de latrines».[75]

Surtout, la qualité juridique irréprochable d'une sentence arbitrale ne présume en rien de son approbation par les parties. Quoi qu'il soit toujours difficile d'apprécier le degré de contentement des plaideurs confrontés à une institution,[76] un exemple tonitruant révèle que certains ne sont pas pleinement satisfaits du fonctionnement des tribunaux de famille: Claude François Xavier Bigot, «citoyen français régénéré et vrai républicain ... dégoûté avec raison de voir pour juges arbitres de vils imposteurs que sa mère a choisi» déclare qu'il «ne confiera jamais ses droits à des suppôts de l'Ancien régime, à des hommes qui n'en [sont] que la plus respectueuse vermine ... et reconnus dans l'opinion publique pour aristocrates gangrenés». Désireux «de porter dans cette affaire la plus éclatante lumière, il veut dévoiler à tous les tribunaux, à la cité entière, les facéties auxquelles de bons citoyens ne peuvent se fier ..., les entortillages ténébreux et dégoûtants des suppôts de chicane». Il s'insurge «qu'arrivé à la glorieuse époque de la république française», des pratiques de «l'Ancien Régime règnent encore». Il déplore «les suppositions absurdes, perfides, les impostures atroces qu'il a entendues audit tribunal [et qui] lui ont fait perdre la confiance qu'un loyal citoyen» est en droit d’attendre des arbitres de famille dans lesquels il voit désormais des «machinateurs dénigrant le bon droit, révoltant le bon sens». Il va même jusqu'à mettre en cause personnellement Royer des Granges «dont le cœur et les sentiments puent (?) l'aristocratie et les rubriques captieuses».[77]

Cette diatribe serait restée anecdotique si les arbitres composant le tribunal de famille s'étaient récusés, comme en d'autres circonstances certains avaient envisagé de le faire.[78] Mais atteints dans leur honneur et leur réputation, ces derniers s'abstiennent de toute action et renvoient l’embarassante affaire devant le tribunal de district: «Vu les motifs qui ne permettent plus à notre délicatesse de rester figée; nous déclarons nous abstenir, et pour éclairer le tribunal de district sur nos motifs, nous avons remis la présente abstention ... au greffe du tribunal afin qu'il en ait connaissance».[79] Au-delà de ce cas d'espèce, ne pouvant à lui seul remettre en cause la qualité et la crédibilité des sentences arbitrales rendues à Grenoble, il faut reconnaître avec ledit Bigot que «tous les vices et penchants» de la justice d'Ancien Régime ne sont pas «expurgés».

Un constat se dégage: l'échec de la conciliation et l'appropriation du contentieux familial par une minorité d'individus ont élevé l'arbitrage grenoblois au rang d'activité lucrative, annihilant ainsi les espoirs secrets d'A-C Guichard qui, persuadé des «bienfaits de la nouvelle justice» et soucieux d’éviter que les contestations familiales soient «renvoyées au scandale des tribunaux», voulait «rendre la conciliation inévitable, d’abord en écartant les hommes de loi et ensuite en donnant aux parties des juges intéressés à les désaccorder».[80]

À n'en pas douter, l'investissement des tribunaux de famille par les praticiens pervertit l'institution; Marat s’en fait l’écho devant l'assemblée le 17 juin 1793: «Les arbitres ne seront jamais deux paysans mais deux hommes qui, quelques noms que vous leur donniez, seront des juristes».[81]

Patente en ville, une telle dénaturation de l'esprit de l'arbitrage se retrouve-t-elle dans les cantons de montagne, ceux-là même qu'en homme averti, Royer des Granges juge nécessaire d'éduquer?[82] La pratique exaucera-t-elle le vœu de Duport qui souhaite écarter les hommes de loi de la campagne afin de protéger les «bonnes mœurs paysannes» et préserver ainsi «ce petit coin par lequel nous tenons encore à la nature et à sa touchante simplicité»?[83]

II UN TERRAIN FAVORABLE à L’éMERGENCE D’UN ARBITRAGE AUTHENTIQUEMENT FAMILIAL: LA MONTAGNE

Alors qu'à Grenoble il faut attendre le mois de septembre 1791 pour voir siéger des arbitres de famille, on voit, aux alentours, plusieurs tribunaux domestiques se constituer dès le mois de juin. Cette mise en place rapide ne se fait pourtant pas sans certaines difficultés. L’ignorance des parties pousse à l’embarras des acteurs de l’arbitrage pas toujours au fait de la procédure à suivre ou de l’étendue de leurs attributions.[84] Ainsi, le hasard ayant conduit les parties devant le bureau de paix et de conciliation du district, les membres de celui-ci, visiblement peu instruits des règles présidant au fonctionnement des tribunaux de famille, traitent cette affaire comme une autre, sans tenir compte de la spécificité des liens unissant les plaideurs.[85] «N’ayant pu concilier les parties» (et pour cause, le défendeur n'a pas dénié paraître...), ils invitent alors les parents-plaideurs à se pouvoir devant le tribunal de district. Dissipant le malentendu, ce dernier met fin à ces gymkhanas procéduraux en nommant d'office les arbitres amenés à composer le tribunal de famille,[86] seul compétent en la matière.[87]

Aux aléas inhérents à toute mise en œuvre de dispositions législatives récentes s’ajoute la mauvaise volonté de plaideurs peu disposés à voir leur différend porté devant l’assemblée de famille. Il est fréquent de voir une partie faire mine de se désintéresser de la procédure en cours, soit en ne répondant pas à la convocation du tribunal,[88] soit – pensant sans doute faire obstacle à la réunion de celui-ci – en refusant délibérément de nommer des arbitres.[89]

Plus dangereuse pour la viabilité de la nouvelle institution est l’attitude de ces parties qui, espérant profiter des incertitudes inhérentes à sa mise en place,[90] tentent d'imposer leur loi en subordonnant leur comparution devant le tribunal à la réalisation de certaines conditions: ainsi, «François Brunet et Marie Enalle font signifier sur les 8 heures du matin un acte judiciaire en comparoissant, par lequel ils déclarent que jusqu’à ce que les mariés Chaniés aient fait une répudiation par devant le tribunal de district de la donation qui leur a été faite dans leur contrat de mariage, [il] ne doit avoir lieu à aucune assemblée de parents. Qu’en conséquence, jusqu’à ce que ce préalable soit rempli, ils ne paraîtront pas, ni ne feront paraître leurs arbitres en aucune assemblée».[91]

La tentative de déstabilisation ne produit pas l'effet escompté: elle permet même aux arbitres de marquer leur indépendance vis-à-vis de ceux qui les ont désignés et leur fournit l'occasion de faire respecter l'autorité attachée à leurs fonctions: «C'est là une erreur qui n'a pas d'exemple. D’abord les parents arbitres ont accepté la commission qui leur a été déférée; ils ont manifesté cette acceptation par l’indication du jour de leur assemblée et par leur verbal de formation, en sorte que les arbitres nommés ne sont plus ni à l’une ni à l’autre des parties, aucune d’elle ne peut arrêter ni retarder leurs fonctions par des incidents sans fondement. ... C’est une démarche qui ne tend qu’à faire faire des frais inutiles».[92]

Si la manœuvre dilatoire des époux Brunet ne fait ici qu’éveiller la suspicion des arbitres, elle témoigne de la difficulté rencontrée, à leurs débuts, par les tribunaux de famille devant les réticences des parties. La formule consacrée, «nous, arbitres réunis en la forme et exécution des articles 12 et 13 du titre 10 du décret de l'Assemblée nationale du 16 août 1790 sur l'organisation judiciaire» – laquelle jalonne les sentences arbitrales de l'année 1791, mais ne se retrouve plus guère employée par la suite – atteste de la nécessité d'asseoir l'autorité des sentences arbitrales sur la légitimité populaire des lois nationales.

Les dysfonctionnements inhérents à la mise en place de l’institution se dissipent à mesure que se précisent les attributions des principaux protagonistes de l’arbitrage.[93] Une femme ignorante intente-t-elle une action en répétition de dot et séparation de biens devant le tribunal de district de Grenoble: celui-ci se déclare incompétent et l'invite à se pourvoir devant un tribunal de famille «en conformité de l'article 12, titre 10».[94] Une question soulevée par un tribunal de famille excède-t-elle le cadre de ses attributions: ce dernier renvoie les intéressés «à se pourvoir par-devant les juges qui en doivent connaître», en l'occurrence le tribunal de district de Grenoble.[95] L'ajustement des principes législatifs aux exigences de la pratique quotidienne s'opère donc sans trop de heurts dans les campagnes et les montagnes du district grenoblois.

Évolution des mentalités ou rayonnement moindre de l'ancienne capitale provinciale, les montagnards ne semblent plus émettre alors la plus petite réserve à l'égard de l'autorité des décisions émanant des tribunaux de famille.[96] Un respect réciproque fédère parties et arbitres: une fois nommés, ceux-ci s’acquittent de leur fonction avec déférence et application; le jugement rendu, celles-là s’y rallient sans manifester apparemment un quelconque mécontentement, tel un nommé Pellerin qui, pourtant condamné à payer 8200 livres, «acquiesce à la présente décision, constate qu'elle a force d'arrêt et de loi pour lui en jugement en dernier ressort».[97] D’autres formules témoignent également de cette réciprocité d’engagement des uns envers les autres: dans une sentence du 20 mai 1792, les parties «prient le tribunal de famille de terminer les difficultés qui les divisent»;[98] dans une autre procédure, les plaideurs convient les personnes qu’ils ont désignées «à accepter derechef l’arbitrage énoncé»;[99] les arbitres honorent alors l’invitation par une tournure rituelle: «nous juges arbitres susdits constitués légalement en tribunal de famille, acceptons l’arbitrage à nous déféré par ledit compromise».[100] Le recours à l’arbitrage familial entre progressivement dans les mœurs, ainsi qu’en atteste ce compromis entre les parties aux fins de désigner leurs juges: «Désirant de faire régler au tribunal de famille ainsi qu’il convient à de bons parents, surtout en mère et enfant».[101]

Eu égard à la confiance mutuelle habitant les acteurs de l'arbitrage familial, il n'est pas étonnant de voir certains comportements citadins – comme le pouvoir de récuser les arbitres nommés par la partie adverse – rester étrangers aux gens de la montagne.[102] Mais, doit-on voir pour autant dans le compromis du 29 avril 1792 passé devant un tribunal de famille de Pontcharra[103] la marque d'une volonté plus ferme dans les plaines et les montagnes de concilier les plaideurs? L'absence d'éléments tangibles invite à la prudence, d'autant qu'une décision montre que le résultat d'une solution amiable entre les parties n'est pas toujours imputable à l'action des arbitres.[104]

L’échec de la conciliation est donc aussi manifeste à la montagne qu’en ville. Néanmoins, l'arbitrage pratiqué dans les cantons de plaine et de montagne accuse un caractère familial nettement plus marqué qu'à Grenoble. Certes on ne trouve que trois sentences désignant les arbitres par leur degré de parenté avec les parties,[105] mais près de 25 pour cent des tribunaux domestiques constitués[106] ne comptent aucun juriste parmi leurs members.[107] Mieux, la catégorie des « citoyens » représente près du tiers des arbitres (74 citoyens sur 245 arbitres), lesquels, lorsqu'ils ne sont pas les parents des plaideurs,[108] sont souvent des amis ou des voisins.[109]

Ainsi composés de parents-arbitres,[110] les tribunaux de famille concrétisent l'idéal prôné par Thouret d'une «justice très simple, très expéditive, exempte de frais, et dont l'équité naturelle dirige la marche plutôt que les règlements pointilleux de l'art de juger».[111] Rapidité, équité et concision sont les caractéristiques principales de la sentence rendue par 4 citoyens de Porte: pourquoi multiplier les actes de procédure et conséquemment les frais qui leur sont attachés en requérant, comme cela est de coutume, l'intervention du juge de paix pour procéder à l'audition de témoins, lorsque «les faits de dilapidation dudit Fauton de ses immeubles ... et les mauvais traitements qu'il exerce contre sa femme sont notoires dans le pays»?[112]

La motivation de ce jugement – ainsi qu'en atteste la formule maintes fois répétée «considérant qu'il est de notre connaissance ...» – rappelle à l'historien le temps révolu où le contrôle de la communauté et le jugement moral des conduites pesaient de tout leur poids, et sans doute plus efficacement que certaines dispositions législatives, sur la destinée des individus. Surtout, elle laisse transparaître la volonté des arbitres de régulariser au plus vite une situation manifestement préjudiciable à la demanderesse: «D'après la connaissance que nous parents arbitres avons pris des créances de ladite Marianne Albert, de la valeur des biens actuels de J B Fauton et d'après les observations qui nous ont été faites, nous pensons qu'il y a lieu d'ordonner le cas de répétition de dot être arrivé de la part de la Dame Fauton».[113] Certains relèverons le manque d'assurance, et par là d'autorité, des juges de famille; d'autres, en revanche, louerons la modération qui sied à toute décision prise en équité. Toujours est-il que personne ne remettra en cause l'intégrité des arbitres rappelant, in fine, qu'ils ont «apporté dans [leurs] opérations la plus grande impartialité et le tout au plus près de [leur] conscience».[114]

Cette relation privilégiée entre arbitres et plaideurs d'une part, et entre les parties elles-mêmes d'autre part, contribue grandement à la promotion de l'arbitrage inspiré par la loi de 1790; elle favorise, sinon la conciliation, du moins certaines attitudes qui ne se seraient sans doute pas manifestées dans le cadre contentieux traditionnel. Ainsi, lors d'un jugement, Étienne et Antoine Rey Joli déclarent que, «pour traiter leur frère avec modération et pour se rendre aux sollicitations qui leur ont été faites par des amis, ils réduisent leur demande»;[115] ainsi, des arbitres font grâce de leurs vacations aux parties «attendu leur pauvreté».[116]

Aussi généreux soient-ils, les motifs de cette décision suggèrent, a contrario, que l'exemption d'honoraires par les juges familiaux ne va pas de soi. Il apparaît, en effet, que les canons républicains d'une justice simple, rapide et proche des plaideurs ont moins de mal à s'imposer que celui, pourtant essentiel aux yeux de Thouret, de la gratuité des prestations arbitrales.[117]

La composition du tribunal détermine souvent le montant des honoraires. Une assemblée composée de parents arbitres statue assurément de manière désintéressée: sur les quinze décisions rendues par les tribunaux de famille ne comptant, parmi leurs membres, aucun praticien du droit, une seule indique expressément le montant des honoraires perçus par les arbitres.[118] En revanche, la majorité des décisions rendues par un tribunal comprenant parmi ses membres un notaire, un juge de paix ou, plus rarement, un homme de loi, indique le montant des vacations perçues par les arbitres.[119] Certes, la prudence pousse à reconnaître que «l'absence d'indication précise n'est pas une preuve suffisante de la gratuité des sentences rendues par des parents ou amis»,[120] mais ira-t-on jusqu'à dire de la pratique des arbitres gradués qu'elle est plus transparente que celle des parents et amis? L'hypothèse tombe d'elle-même lorsqu'on sait que de nombreuses décisions rendues par des tribunaux mixtes – c'est-à-dire composés de juristes et de simples citoyens – font apparaître que seuls les praticiens du droit perçoivent des honoraries.[121]

De telles considérations permettent de présumer le désintéressement des parents arbitres; la faiblesse, voire l'absence, de vacations réclamées par les juges de famille au titre de leurs prestations montrent que les intentions des arbitres s'inscrivent dans l'idéal d'une «justice prompte, facile et pour ainsi dire domestique, qui n’exige pas l’appareil d’une procédure ruineuse».[122] Les honoraires sont parfois si peu élevés[123] qu'ils apparaissent plus comme une compensation des désagréments causés par la tenue de trois réunions successives, que comme l'effet de la volonté de tirer profit d'une fonction qui, à la différence de ce qu'on a pu constater pour Grenoble, n'apparaît pas lucrative mais citoyenne.

Il ressort donc à l'évidence de ces premiers développements que le législateur aurait sans doute trouvé de larges motifs de satisfaction dans l'arbitrage domestique pratiqué dans certaines parties du district grenoblois.

Toutefois, le point de vue adopté jusqu'ici ne doit pas occulter le fait essentiel déjà mentionné plus haut: l'arbitrage montagnard n'est véritablement familial que dans 25 pour cent des affaires! Dans la majorité des cas, les sentences troquent leur fraîcheur et leur spontanéité contre des formes plus conventionnelles.

La présence de gradués parmi les arbitres n'est pas étrangère à ce phénomène. Si elle est incontestablement moins marquée qu'en ville, l'influence des praticiens du droit sur l'arbitrage familial reste dominante dans les régions montagneuses. Sur les 245 arbitres ayant siégé dans les tribunaux de famille du district,[124] on recense 60 notaires et 8 hommes de loi. Rien de comparable donc avec ce qu'on a pu constater pour Grenoble. À la vue de ces données globales, avancer l'hypothèse d'une influence décisive des juristes sur l'orientation du jugement de famille paraît aventureux.[125] Mais, fait remarquable et péremptoire, les notaires, pourtant moins représentés que les citoyens dans les tribunaux de famille,[126] sont partie prenante dans 70 pour cent des sentences arbitrales.[127]

Les raisons de cette prédominance tiennent à la position privilégiée qu'ils occupent dans l'espace montagnard. Jouissant d'une solide réputation qu'il a souvent héritée de son père, détenteur de la charge avant lui, le notaire, parce qu'il a reçu le testament paternel ou le contrat de mariage d'un des enfants, est le gardien des secrets de famille. Dépositaire des volontés patriarcales, il a aussi su profiter de la discrétion des hommes de loi dans ces zones enclavées pour conseiller les montagnards sur la nature et l'étendue de leurs obligations.[128] Aussi, parce qu'il est susceptible d'apporter son expérience et ses compétences juridiques à un tribunal qui en est souvent dépourvu, les plaideurs n'hésitent-ils pas à désigner un notaire pour arbitre, surtout quand ce dernier détient le contrat de mariage ou le testament servant de base à leurs prétentions.[129] Le contentieux traité par les tribunaux de famille étant essentiellement successoral,[130] sa technicité appelle naturellement les notaires à régler les difficultés qu'il est toujours susceptible de soulever.

Mais les raisons de la prédominance des notaires au sein des tribunaux domestiques ne tiennent pas seulement à la volonté des parties et à la nature des litiges soumis à leur appréciation: un effet contingent résulte également des nominations d'office. Dans plus du tiers des litiges portés à la connaissance des tribunaux domestiques montagnards,[131] une des parties n'a pas daigné désigner ses arbitres;[132] le juge de paix a dû alors remédier à la défaillance du plaideur en nommant à sa place deux personnes pour siéger dans le tribunal appelé à se réunir pour résoudre le différend familial.[133]

Chose significative, alors qu'ils sont moins nombreux que les citoyens lorsque les parties désignent elles-mêmes leurs juges,[134] les notaires deviennent la catégorie la plus représentée dans les tribunaux de famille quand le pacificateur local est intervenu dans la nomination des arbitres.[135] Lorsqu'on sait également que les juges de paix n'ont nommé d'office qu'un seul laboureur (alors que les plaideurs en avaient spontanément désignés 17), leur part de responsabilité dans la juridicisation – conséquence directe de la présence des praticiens du pouvoir au cœur des tribunaux domestiques – de l'arbitrage familial montagnard est indiscutable.

Une fois encore, le décalage entre les aspirations généreuses du législateur sur la justice de paix et la réalité est considérable. Thouret voulait écarter de ces «fonctions l'embarras des formes et l'intervention des praticiens» afin que «dans chaque canton tout homme de bien, ami de la justice et de l'ordre, et ayant l'expérience des mœurs, des habitudes et du caractère des habitants puisse devenir à son tour juge de paix»;[136] or les élections poussent logiquement[137] vers ces emplois une majorité de juristes[138] qui recherchent les arbitres de famille prioritairement parmi leurs pairs.[139]

L'état des indications fournies par la plupart des sentences arbitrales ne permet pas de déterminer précisément la qualité des deux arbitres nommés d'office.[140] Toutefois, certaines décisions mentionnent ce détail. Or, fait exprès, sur les 6 arbitres dont on sait avec certitude qu'ils ont été désignés d'office par le juge de paix (à défaut de l'avoir été par le défendeur), 4 sont des notaires, un est officier municipal et le dernier, citoyen.[141] Qu'elle soit le fait des parties ou du juge de paix, la présence des notaires[142] témoigne de leur influence dans les régions de plaine et de montagne.

Un traitement spécifique des résultats recueillis dans le canton d'Oisans révèle une autre caractéristique de l’arbitrage familial: l’appropriation de la justice domestique par une minorité de personnes. Cette tendance est particulièrement exacerbée à Bourg d'Oisans: alors que dans le canton, 4 arbitres[143] ont pris part à l'élaboration de plus de la moitié des sentences, à Bourg d'Oisans, ce sont cinq personnes qui ont pu participer à 80 pour cent des décisions rendues par les tribunaux de famille locaux!

Dans ce gros bourg de montagne, lieu de passage obligé des hommes et des marchandises en provenance d’Italie par les cols du Montgenèvre puis du Lautaret et en transit vers Grenoble, les symptômes d'une professionnalisation de l'arbitrage sont apparents. Les figures locales, notaires, citoyens et surtout assesseurs du juge de paix,[144] occupent une place privilégiée au sein de la collectivité locale. Grande est l'autorité de ces prud'hommes, individus sages et avisés, que la reconnaissance de leurs concitoyens a porté, par le procédé de l'élection, aux fonctions respectables d'assesseur du juge de paix. Ils sont les tenants de cette «justice simple et naïve ... justice patriarcale [s'exerçant] sous un chêne, au milieu des champs, le long des ruisseaux», et qui, selon Royer des Granges, «étoit due aux vertueux agricoles, à ces pères nourriciers de la patrie».[145] Le prestige dont ils jouissent place alors naturellement ces habitués de l'arbitrage au rang de juge de famille potentiel. Les données recueillies pour Bourg d'Oisans érigent cette simple conjecture en paradigme: chaque tribunal domestique réuni en ce lieu compte au moins un assesseur parmi ses membres![146]

Les prud'hommes assesseurs ne sont pas les seuls professionnels de l'arbitrage familial: à Bourg d'Oisans, le quart des arbitres nommés siègent dans les trois-quarts des tribunaux domestiques.[147] Certaines personnalités apparaissent dès lors incontournables tant pour le juge de paix Balme – nommant d'office des arbitres lorsqu'il s'avère nécessaire de remédier à l'inaction des parties[148] –, que pour les plaideurs.[149] Leur emprise est telle que l'arbitrage familial devient, à Bourg d'Oisans,[150] une affaire de spécialistes.

Sans doute cela explique-t-il pourquoi les honoraires perçus par ces derniers sont toujours plus élevés que ceux du simple quidam convoqué ponctuellement pour siéger dans un tribunal domestique.[151] À en croire les rédacteurs des sentences arbitrales,[152] le déséquilibre des vacations est justifié par certaines démarches, telles les expertises, nécessaires pour mettre l'affaire en l'état: ainsi Moulin (assesseur du juge de paix) et Berthon (notaire) perçoivent respectivement 30 et 45 livres correspondant «à cinq jours chacun en voyage, mansuration, recherche de prix, vérification au cadastre, mémoire et mise au net du présent», alors que Laurent et Jean Jourmanel ne sont rémunérés qu'à hauteur de 12 livres chacun pour deux réunions du tribunal de famille.[153] Mais, au-delà des justifications produites par les rédacteurs, on peut penser que les praticiens du droit n'envisagent pas leurs fonctions d'arbitre comme dépourvues d'intérêt: aucun ne refuse en effet de siéger dans un tribunal de famille et, chose remarquable en période républicaine, certains réclament encore des «épices»![154]

Le versement d'émoluments n'est pas sans générer certaines difficultés pour les parties: ainsi, un homme de condition modeste est contraint, après partage et division de la succession de son feu père, de payer à sa sœur la somme de 9 livres alors que les vacations dues aux arbitres s'élèvent à 70 livres![155] En certaines occasions, la justice d'Ancien Régime, pour laquelle les plaideurs «consommoient une partie de leur fortune, lorsqu'ils ne se ruinoient pas en s'abandonnant à des contestations interminables»,[156] semble refaire surface. Mais globalement, la rémunération des arbitres professionnels n'apparaît pas scandaleuse aux parties: le niveau des honoraires est raisonnable et se présente souvent, eu égard à la qualité des services rendus, comme une contrepartie naturelle. Aux yeux des justiciables en effet, la présence de praticiens du droit au sein de l'institution est une garantie de bonne justice et justifie l'entorse ainsi faite au principe de gratuité posé par le législateur.

Si telle est bien la tendance, il ne faut pas déduire de la pratique des tribunaux de famille que l'efficacité judiciaire (administration de la justice par des praticiens) a relégué l'exercice démocratique des fonctions arbitrales au rang de mythe:

– Etre praticien du droit ne préserve ni de l'inattention ni de l'erreur; la confrontation de deux sentences est là pour le rappeler: le 12 mai 1792, un tribunal de famille comptant deux notaires parmi ses membres (Berthon et Betton) casse le testament de Joseph Sallanche au motif que le notaire a «omis une formalité essentielle dans la lecture du testament» en se contentant de dire «témoins requis et signés non le testateur par rapport à la grande faiblesse de sa main».[157] Les arbitres déclarent alors le testament radicalement nul et appliquent aux frère et sœur les règles de la succession ab intestat. Cette affaire banale le serait restée si, deux semaines plus tard, un autre tribunal n'avait pas annulé le testament reçu par Berthon lui-même! Ce dernier n’avait «pas fait lecture de différentes dispositions de la testatrice, ny à ycelle ny aux témoins », omission qui « selon l'article 5 de l'ordonnance royale de 1735» entraîne la nullité de l'acte.[158]

– Etre tailleur d'habits, chapelier, fabricant de toile ou voiturier n'empêche pas d'appliquer, lorsqu'elles sont claires et précises, les lois nationales. Aussi peut-on voir ces quatre artisans viser «l'article 19 paragraphe 2 de la loi du 20 septembre 1792» et renvoyer l'intéressé «devant l'officier public de la municipalité de Mens ... pour faire prononcer son divorce avec ladite Gaillard de la manière prescrite par la loi».[159]

Au regard de ces décisions, il faut admettre que la conscience citoyenne comme les connaissances juridiques ne sont pas exclusivement réservées aux praticiens du droit.[160] Les citoyens arbitres démontrent qu'ils sont parfaitement aptes à connaître des «choses de fait qui ne peuvent être bien jugées que par l'homme des champs, qui vérifie sur le lieu même l'objet du litige et qui trouve, dans son expérience, des règles de décision plus sûres que la science des formes et des loi n'en peut fournir aux tribunaux sur ces matières».[161]

Bien que munis des connaissances juridiques essentielles, les juges de famille n'ont cependant que peu l'occasion d'éclairer les plaideurs sur l'étendue de leurs droits. Lorsque quelques dizaines de livres sont en jeu, nul n'est besoin d'expliquer à ce laboureur des environs de Theys ce qu'est une légitime paternelle: il sait pertinemment qu'elle lui est due![162] Nul besoin non plus de recourir à la notion de puissance maritale pour que Louis Brunet Manquat, laboureur de son état, réfute l'argument de son détracteur en rappelant que, «mari et maître des droits de la dame Duriance», il est tout à fait apte à la représenter en justice.[163]

L'arbitrage devait être «un grand bienfait pour des citoyens longtemps dupes des praticiens».[164] La pratique révèle, plus en ville qu'en montagne, l'influence de ces derniers. Pourtant, les dérives de la professionnalisation n'empêchent pas la réunion d'authentiques tribunaux domestiques animés d'intentions généreuses. Ces assemblées n'ont rien à envier à celles des spécialistes: statuant en droit autant qu'en équité, dans un délai honorable et, le plus souvent, de manière désintéressée, elles s'évertuent à rapprocher les parties plutôt qu'à les désunir, même si, constat cruel, elles n'y parviennent pas plus que celles où siègent des hommes de loi.[165]

Il faut dire que la tâche des arbitres n'est pas toujours facilitée par le comportement des plaideurs: confrontés à la nécessité de déterminer le montant d'une succession, les arbitres constatent «qu'il est impossible de comprendre les effets mobiliers article par article délaissés par le père commun attendu que Joseph Louval, 2e du nom, n'a daigné paraître pour nous la déclarer et représenter, quoy qu’à ce faire duement averti»;[166] ils se résignent alors à en donner une valeur approximative.[167]

Parfois, le manque d'assurance des parents arbitres décrédibilise l'institution et rend certaines décisions pénibles. Abasourdi par leur décision, Jean Bosse «étant toujours présent», demande à ses juges «de lui faire lecture de la teneur, ce qu'il font». Ledit Bosse « représente qu'il y avoit apparence que les arbitres ne connaissoient pas ses facultés, qu'ils n'auroient pas porté cette pension à ce point, qu'il ne peut lui donner que ce qu'il a offert, et qu'il s'oppose formellement à l'augmentation que [les arbitres] ont fait attendu qu'il est chargé de nourrir deux enfants qui sont nés de son mariage avec ladite Vincent et que d'ailleurs obligé de faire travailler son fonds par mains étrangères soit par des domestiques ou journaliers, et a signé Jean Bosse».[168] «Sur laquelle comparution nous dits arbitres ayant à peu[169] près la connaissance des facultés dudit Jean Bosse, nous croyons[170] bien faire en fixant ladite pension ainsi qu'elle est spécifiée».[171] Les atermoiements de ce tribunal témoignent des responsabilités que représente le ministère de juge, fût-il de famille.[172]

Un tel exemple ne doit cependant pas faire oublier les vertus incontestables de l'arbitrage familial. Le caractère informel et ambulatoire des tribunaux domestiques permet de mettre à jour d'obscurs conflits familiaux qui, sans cela, seraient restés dans l'ombre. Ainsi, profitant de l'ascendant physique et moral procuré par son âge, Séraphin Bellet, violant en cela les dispositions de son contrat de mariage, s'abstient de verser à sa mère Élisabeth une modeste pension alimentaire viagère. Peu respectueux des volontés paternelles exprimées dans ledit contrat, ledit Séraphin aurait pu, en toute impunité, laisser sa mère dans le besoin si cette dernière, conseillée par un de ses proches, n'avait pris l'initiative de réunir un tribunal de famille. Comparaissant alors «accompagnée de Claudine Bellet une de ses filles, et soutenue avec pas chancelant et à l'aide d'un bâton, et tremblante», elle dit aux arbitres «n'avoir rien exigé de ladite pension depuis le 16 novembre 1785». Le tribunal rétablit Élisabeth Bellet dans ses droits en condamnant son fils Séraphin à payer «5 annuités de la pension à elle faite par le défunt Claude Bellet son mari en conformité tant du contrat civil de mariage dudit Séraphin que du testament du feu Claude Bellet».[173]

Cette espèce explique sans doute pourquoi au moment même de leur disparition, les tribunaux domestiques comptent encore d'ardents défenseurs: «Oui, je le soutiens – proclame Renaud à la séance du 29 pluviôse – quand bien même les tribunaux de famille ne serviraient qu'à prévenir ou éteindre une seule fois par an les haines et les divisions domestiques, il faudrait encore les conserver».[174] Mais il est trop tard; l'Assemblée les supprime, non sans exprimer une pointe de nostalgie: «Cette institution sublime nous conviendra peut-être lorsque nos cœurs se seront épurés au creuset de la République».[175]


[*] Maître de conferences en histoire du droit et des institutions, Universite Pierre Mendes France, Grenoble.

[1] En 1932, au terme de son analyse de l'arbitrage familial pratiqué dans le district de Caen, J Forcioli, présentait le tribunal domestique comme une «anomalie ..., produit de l'illusion d'un législateur révolutionnaire ayant cru voir en lui la panacée à toutes les discordes familiales» J Forcioli Les Tribunaux de Famille d'Après les Archives du District de Caen (Thèse Droit, Caen, 1932) 101-102.

[2] Dans un article publié à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, Jacques Commaille relève «l'objet de recherche exceptionnel» que constitue une telle «curiosité historique» («Les formes de justice comme mode de régulation de la famille, questions sociologiques posées par les tribunaux de famille», La Famille, la Loi, l'État (Imprimerie Nationale, Paris, 1989) 275-276); quant à Jacques Poumarède, il réclame des «études locales précises» permettant d'adopter «une vue d'ensemble sur cette question» («La législation successorale de la Révolution, entre l'idéologie et la pratique» La Famille, la Loi, l'État (Imprimerie Nationale, Paris, 1989) 173).

[3] J-P Branlard, Le Tribunal de Famille sous la Révolution Française (Paris, 1984); J-C Brianchon Les Tribunaux de Famille (mémoire DES, Paris, 1958); J-J Clère «L'arbitrage révolutionnaire: apogée et déclin d'une institution (1790-1806)» dans Revue de l'Arbitrage (1981) 3-28; J Commaille «Les formes de justice comme mode de régulation de la famille, questions sociologiques posées par les tribunaux de famille sous la Révolution française» dans La Famille, la Loi, l'État: de la Révolution au Code Civil (Centre de Recherche Interdisciplinaire de Vaucresson, Actes du Séminaire, Paris, 1989); L Darnis Les Tribunaux de Famille dans le Droit Intermédiaire (Thèse, Paris, 1903); A-C Guichard Traité du Tribunal de Famille, Contenant une Instruction Détaillée pour la Compétence et les Fonctions de ce Tribunal, Considéré sous ses Divers Rapports..., Paris, Impr Didot le Jeune, juin 1791; J-L Halperin «La composition des tribunaux de famille sous la Révolution: ou les juristes, comment s'en débarrasser?» dans La Famille, la Loi, l'État: de la Révolution au Code Civil (Centre de Recherche Interdisciplinaire de Vaucresson, Actes du Séminaire, Paris, 1989) 292-304; J-F Traer The French Family Court, History, (juin 1974) 59 Journal Historical Association, Londres, 196, 211-228.

[4] Citons, pêle-mêle, et par ordre alphabétique, M Carlin «Les tribunaux de famille, arbitres des difficultés successorales dans l'ancien Comté de Nice» dans Le Droit de la Famille en Europe, son Évolution de l'Antiquité à nos Jours [sous la dir de] R Ganghofer, Actes des Journées Internationales du Droit (PUS, 1992) 595-606; A Charpentier, Le Divorce et ses Institutions Familiales à Bordeaux pendant la Période du Droit Intermédiaire (Assemblées Conciliatrices et Tribunaux de Famille) (Thèse Bordeaux, 1980); O Devaux «Les tribunaux de famille du district de Rieux et l'application de la loi du 17 nivôse an II» dans Annales de l'Université des Sciences Sociales de Toulouse, 1987, t 35, pp 135-157; M Ferret Les Tribunaux de Famille à Montpellier 1790-an IV (Thèse Droit Montpellier, 1926); J Forcioli Les Tribunaux de Famille d'Après les Archives du District de Caen (Thèse Droit, Caen, 1932); R-G Philipps «Tribunaux de Famille et Assemblées de Famille à Rouen» RHD français et étranger, 1980, pp 69-79; E Rouchy Quelques Aspects Familiaux d'une Jurisprudence au Temps de la Révolution, celle du Tribunal de Famille du District de Montpellier (janvier 1793-septembre 1794) mémoire DEA, 1996; J-L Vedié L'Introduction du Divorce à Rennes sous la Révolution Française et les Tribunaux de Famille (Thèse Droit, Rennes, 1975); P-P Viard «Les tribunaux de famille dans le district de Dijon (1790-1792)», dans Nouvelle Revue Historique de Droit Français et Étranger (1921) 242-267.

[5] J-B Duvergier Collection Complète des Lois, Décrets, Ordonnances, Règlements, Avis du Conseil d'état Depuis 1788, par òrdre Chronologique (Paris, 1837) t 1, pp 310-333.

[6] Duvergier, op cit, t 9, 52.

[7] L'article 1er de la loi des 16-24 août 1790 dispose en effet que «l'arbitrage [est] le moyen le plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens».

[8] J-B Duvergier, op cit, t 1, 326-327.

[9] Absence d'un des arbitres, défaut de comparution d'une des parties, nécessité de faire procéder à une enquête ou à une audition de témoins.

[10] Lors de la discussion du titre X de la loi des 16-24 août 1790, Robespierre se montre particulièrement sceptique à cet égard (Archives Parlementaires de 1789 à 1860 (Madival et Laurent), Recueil Complet des Débats Législatifs et Politiques des Chambres Françaises, 1ère série 1789-1799, Paris 1867-1896, 47 vol, t 17, 621).

[11] L'Ancienne capitale provinciale renfermait dans son sein un Parlement, une Chambre des comptes, un bureau des Finances, un bailliage, un tribunal d'élection et un siège de maîtrise (Mémoire pour la Ville de Grenoble, Capitale du Dauphiné reproduit in extenso par Xavier Roux La Révolution en Dauphiné (Grenoble, 1888) 112-122).

[12] Après avoir scindé l'ancienne province de Dauphiné en trois unités administratives distinctes (l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes), un décret de l'Assemblée nationale du 3 février 1790 fixe les limites du département de l'Isère et le découpe en quatre districts dont les chefs-lieux sont Grenoble, Vienne, Saint-Marcellin et la Tour du Pin.

[13] ADI, L 103, fol 25, cité par Jean Egret Le Parlement de Dauphiné et les Affaires Publiques dans la Deuxième Moitié du XVIIIe Siècle (B Arthaud, Grenoble-Paris, 1942) t 2, 356.

[14] Comparer les références bibliographiques citées à la note 3.

[15] Jacques Commaille ne voit pas seulement dans la courte expérience révolutionnaire de l'arbitrage familial «une forme de justice dans un moment de l'histoire», mais encore «une des formes possibles de justice à n'importe quel moment de l'histoire» («Les formes de justice ...», op cit, 176).

[16] Le matériau de cette étude est constitué de 115 sentences arbitrales. Parmi ces dernières, 54 concernent la ville de Grenoble. Sur les 30 jugements intéressant les zones montagneuses, près de la moitié (14 très exactement) se situent dans le canton d'Oisans. Comprenant le plus grand nombre de décisions, cette région de montagne apparaît comme la seule susceptible de justifier une comparaison chiffrée avec la ville de Grenoble, aucune statistique sérieuse ne pouvant s'établir sur la base de trois ou quatre décisions pour un même canton. Cela ne signifie pas qu'il faille délaisser pour autant les précieuses informations révélées par le reste du dépouillement comprenant 21 jugements pour les autres cantons du district et 10 décisions que la faiblesse des indices ou le caractère illisible ne permet pas de localiser précisément (on peut simplement dire, aux vues de la profession des arbitres, de la manière dont ces derniers ont été nommés, de la procédure suivie et du caractère laconique de la motivation du jugement, qu'elles ne concernent pas la ville de Grenoble. Mais on ne saurait dire si elles intéressent les plaines et les campagnes du district grenoblois ou les régions montagneuses de Belledonne ou de l'Oisans).

[17] Françoise Fortunet est la seule, semble-t-il, à avoir posé quelques jalons en cette matière («Connaissance et conscience juridique à l'époque révolutionnaire en pays de droit coutumier: la législation successorale» La Révolution et l'Ordre Juridique Privé, Rationalité ou Scandale? (Actes du Colloque d'Orléans, Sept 1986, PUF, Paris, 1988) 359-371).

[18] Les premiers commentateurs de la loi des 16-24 août 1790 (A-C Guichard, Traité du Tribunal de Famille, Contenant une Instruction Détaillée pour la Compétence et les Fonctions de ce Tribunal, Considéré sous ses Divers Rapports ..., Paris, Impr. Didot le Jeune, juin 1791 et H de Matigny Pétition sur l'Interprétation de la Loi du 24 Août 1790, titre 10, Articles 12 et 13 Concernant l'Organisation des Tribunaux de Famille, Paris, Impr J-B Hérault, s d) ont d'ailleurs nettement souligné les insuffisances et l'imprécision des articles 12 et 13.

[19] 20 septembre 1792 et 6-10 janvier 1794 (17-21 nivôse an II), Duvergier, t 6, 374-384.

[20] Comparer Mémoire pour la ville de Grenoble, Capitale du Dauphiné, op cit.

[21] G Chianéa «Des Institutions Dauphinoises aux Institutions Iséroises: la Fin de l'Hégémonie Grenobloise», dans Les Débuts de la Révolution Française en Dauphiné (1788-1791) (PUG, 1988) 286.

[22] Journal patriotique de Grenoble, mardi 24 août 1790, cité par J Egret, op cit, 356. Ce ton patriotique n'est pas sans évoquer celui adopté par le Père Duchesne: «Ils foutent enfin le camp, ces sacrés coquins de juges; nom d'un foutre les voilà rasés ...! Il n'est plus le temps où ils allaient traîner leurs jaquettes rouges et où nous avions la bêtise de les appeler nos pères tandis que les bougres n'agissaient que dans leur intérêt personnel» cité par J-P Royer Histoire de la Justice en France (PUF, 1995) 248.

[23] J-L Halperin «La Composition des Tribunaux de Famille sous la Révolution: ou les Juristes, comment s'en Débarrasser?» dans La Famille, la Loi, l'État: de la Révolution au Code Civil (Centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson, Actes du Séminaire, Paris, 1989) 292-304.

[24] Parmi les interventions énergiques proférées à l'encontre des hommes de loi devant l'Assemblée nationale, Jean-Louis Halperin (article précité) souligne notamment celle d'anciens «tablotants», Danton et Barère, affichant un dégoût manifeste pour les pratiques de leurs anciens confrères.

[25] Cette thèse est celle de Fournel, Histoire du Barreau de Paris sous la Révolution, 1813, citée par J-P Royer op cit, 312.

[26] Malgré la disparition ubuesque de l'ordre des avocats par l'effet indirect d'un texte relatif au costume des juges (décret du 2-11 septembre 1790), l'Assemblée constituante ouvre, par une série de mesures ultérieures, de larges possibilités de reconversion à tout ce personnel apparemment spolié de ses anciennes prérogatives du fait de la recomposition du paysage judiciaire. Un décret du 15 décembre 1790 institue les défenseurs officieux tout en invitant «ceux qui ne rempliront pas les places de juge ou d'hommes de loi ... à suivre cette belle carrière». Après avoir ainsi étendu les possibilités de reconversion des anciens avocats, la Constituante, en créant par un décret du 20 janvier-20 mars 1791 le ministère d'avoué devant le tribunal de district, offre aux juristes, mais tout spécialement aux anciens procureurs, le monopole de la représentation des parties devant le tribunal de district: d'après ce décret, les avoués sont chargés de représenter les plaideurs, responsables des pièces et titres de ceux-ci, habilités à faire des actes de forme nécessaires pour la régularité de la procédure (mettre l'affaire en l'état) et même de défendre les parties, soit verbalement soit par écrit, pourvu qu'ils aient obtenu l'autorisation expresse de celles-ci. La purification du passé consiste donc uniquement à attribuer une nouvelle dénomination aux fonctions traditionnelles de l'avocat ou du procureur!

[27] Sur ce point, J-P Royer, op cit, 318-320, et tout spécialement les indications bibliographiques fournies à la p 322.

[28] Pour l'élection et l'installation du tribunal de district de Grenoble, AMG, LL1, 2 novembre 1790 et AMG, LL 2, 8 novembre 1790.

Pour l'élection du bureau de paix, AMG, LL 2, 15 janvier 1791.

Pour l'élection des juges de paix, AMG, LL 100, 10-11 avril 1791 et AMG, LL 1, 15 avril 1791.

[29] Le reste des arbitres est constitué de citoyens, négociants, officiers municipaux, entrepreneurs, chamoiseurs, peigneurs de chanvre, substitut du greffier, charpentier, perruquier, tapissier, cultivateur, juge de paix, maire, commissaire de police.

[30] Il faut entendre ici cette expression au sens strict, c'est-à-dire à l'exclusion des avoués et des notaires. Certains de ces hommes de loi sont des gradués donnant des consultations, mais la plupart d'entre eux sont des anciens avocats ayant exercé leurs fonctions devant les juridictions d'Ancien Régime.

[31] On trouve également, outre les professions déjà mentionnées dans la note ci-dessus, des cultivateurs, hommes d'église, laboureurs, meunier, maître maréchal, ancien procureur de bailliage, assesseurs du juge de paix, officier de gendarmerie, bourgeois, hotellier, cordonnier, aubergiste, chapellier, tailleur d'habit, fabricant de toile, voiturier.

[32] Tous les auteurs s'étant penchés sur le fonctionnement de cette institution ont d'abord constaté, puis largement commenté, cet état de fait.

[33] La présence de parents des plaideurs parmi les arbitres est un fait si rare que la dénomination même de tribunal de famille sied fort peu à la circonstance.

[34] Il est tout à fait caractéristique de noter que seuls 5 hommes de loi et 2 avoués ont pu être désignés comme arbitres pour des affaires n'intéressant pas la ville de Grenoble. Encore faut-il préciser que ces juristes ont été sollicités soit parce qu'ils sont natifs du même lieu que les parties au litige (21 février 1792, ADI, L 1677), soit parce que, venus les consulter sur une question juridique précise, un des plaideurs les désigne ensuite comme arbitre (voir par exemple, 20 mai 1792, ADI, L 1677), soit enfin parce que la renommée pousse le juge de paix à recourir à leurs services lorsqu'une des parties n'a pu ou voulu le faire (par exemple, 20 septembre 1792, ADI, L 1677).

[35] Duvergier, op cit, 327.

[36] Ce dernier pourrait entretenir l'illusion en citant l'exemple de ce plaideur lyonnais qui, voulant récuser un arbitre parce qu'il avait dîné avec son adversaire, s'était vu répondre qu'on était nécessairement amené à partager un repas avec ses amis (J-L Halperin, op cit, 300).

[37] Seules 4 sentences mentionnent le degré de parenté entre les plaideurs et leurs arbitres. Aucune ne concerne Grenoble.

[38] Sauf à dresser une généalogie propre à chaque famille des parties ayant sollicité l'intervention des tribunaux domestiques, toute une série de questions (les arbitres étaient-ils effectivement voisins ou amis des parties? Des arbitres étrangers ont-ils siégé alors que les parents des plaideurs étaient susceptibles de le faire?) est destinée à demeurer sans réponse.

[39] Des anciens avocats déployant désormais leur énergie au sein des tribunaux de famille grenoblois, citons, pour ceux qui reviennent le plus fréquemment, Duc, Dutrait des Ayes, Duport-Préville, Duport la villette, Dumas, Dumas la Rochetière, P-F Duchesne, Eymard, Froment, Grandthorane, Mallein, Martin, Michal, Royer des Granges ... S'appuyant sur les renseignements fournis par l'Almanach de l'Isère, Véronique Girard, (Histoire du Barreau et des Avocats de Grenoble de 1750 à nos Jours (Thèse droit Grenoble, 1996) 80), fait état d'un seul avocat (Pierre Arnaud) «troquant sa robe contre «celle» d'avoué». Pour le reste, les avoués auprès du tribunal de district siégeant dans les tribunaux de famille sont pratiquement tous, signe de la reconversion parfaitement maîtrisée des juristes, d'anciens procureurs ayant exercé leurs fonctions devant le Parlement ou le bailliage: sur les 45 avoués inscrits auprès du tribunal de district à la fin de l'année 1791, 13 sont d'anciens procureurs au Parlement et 25 d'anciens procureurs de bailliage. (Almanach du Département de l'Isère 1792, ADI, Per 906/2).

[40] Preuve de cette intervention préalable, la présence de nombreux mémoires versés aux débats. Si, dans la plupart des cas, les sentences archivées ne font que viser ces documents, on trouve parfois ces mémoires annexés au jugement arbitral (par exemple, 27/02/1792 (ADI, L 1677) et 28/12/1792 (ADI, L 1678)).

[41] Seulement 10 pour cent des sentences mentionnent expressément la présence d'un homme de loi ou d'un avoué venu assister les parties dans leurs prétentions. Ce chiffre ne correspond sans doute pas à la réalité car on peut déceler, au détour de mentions manuscrites apparemment insignifiantes (comme celle indiquant qu'une personne autre que l'un des plaideurs s'est acquittée des dépens), la présence d'hommes de loi ou d'avoués venus conseiller les plaideurs. Parmi ceux-ci, Blanc, Bruant, Brunet, Culet, Duchesne, Joubert, Mallein et Vignon, interviennent fréquemment dans des affaires complexes de succession, de séparation de biens avec répétition de dot ou de divorce.

[42] La chose demeure exceptionnelle à Grenoble. Sur la procédure de récusation, 12/09/1792, ADI, L 1677; sur la récusation d'un arbitre par le demandeur, 4/08/1792, ADI, L 1677.

[43] Sur 93 arbitres désignés par les plaideurs, 64 sont des praticiens du droit (36 avoués, 22 hommes de loi et 6 notaires).

[44] On dénombre, pour le reste du district, 26 juristes parmi les 98 arbitres effectivement désignés par les parties. Encore faut-il préciser que parmi ces 26 praticiens, 21 sont des notaires, ce qui fait des hommes de loi et autres avoués une catégorie nettement minoritaire (5 pour cent du nombre total des arbitres).

[45] 160 juristes sur 216 arbitres, répartis en 84 avoués, 70 hommes de loi et 6 notaires. Mis en perspective avec les données globales (sur 462 arbitres désignés ou non par les plaideurs, on répertorie 84 avoués, 78 hommes loi, 66 notaires et 2 défenseurs officieux, soit une proportion de juristes égale à 49,7 pour cent) et surtout avec celles recueillies pour le reste du district (sur 246 arbitres, 70 sont des juristes (60 notaires, 8 hommes de loi, 2 avoués), ce qui ramène leur représentation à 26 pour cent des arbitres), ces chiffres prennent toute leur signification.

[46] 36 tribunaux, sur les 54 répertoriés à Grenoble, sont composés uniquement de juristes.

[47] Article 13 de la loi des 16-24 août 1790: «Chacune des parties nommera deux arbitres; et si une s'y refuse, l'autre pourra s'adresser au juge qui, après avoir constaté le refus, nommera des arbitres d'office pour la partie refusante».

[48] Installé en novembre 1790 (pour l'élection BMG O 1165, pour l'installation, AMG, LL 2) le tribunal de district était le seul à pouvoir désigner les arbitres lorsque les plaideurs s'étaient abstenus de le faire, simplement parce que les juges de paix pour la ville de Grenoble n'étaient pas encore élus. Il fallut attendre le 10 avril 1791 pour que les citoyens actifs de Grenoble procèdent à l'élection de 3 juge de paix et de leurs dix-huit assesseurs. Jusqu'au 10 février 1792, les nominations d'office des arbitres de famille sont faites concuremment par le Tribunal de district et le juge de paix; à compter du 20 février 1792, elles relèvent de la compétence exclusive de ce dernier. La raison est d'ordre pratique: le tribunal de district est trop affairé pour régler les incertitudes procédurales concernant la formation des tribunaux de famille. Sur ce point, ADI, L 542.

[49] Sur les 16 arbitres nommés d'office par le tribunal de district, on trouve 7 hommes de loi et 6 avoués. Sur les 64 autres désignés par les juges de paix, on répertorie 32 hommes de loi, 19 avoués et un notaire. Au total 82,5 pour cent de juristes entrent dans la composition de tribunaux dont la désignation des arbitres n'est pas le fait délibéré des plaideurs.

[50] Encore n'avons nous pu déterminer la profession du seul arbitre présumé non juriste, Pierre Jat.

[51] Le 27 septembre 1791, Mallein est élu juge de paix de l'arrondissement occidental de Grenoble en remplacement de Couturier. AMG, LL 100.

[52] Discours de Thouret, Arch Par, op cit, 24 mars 1790, t 12, 345.

[53] À Grenoble, 12 arbitres siègent 89 fois, ce qui revient à dire qu'ils tranchent plus de 40 pour cent des affaires. Mieux, près de 80 pour cent du contentieux familial est liquidé par une trentaine d'individus.

[54] La première sentence arbitrale rendue à Grenoble date du 23 juillet 1791 et la dernière prise en compte par cette étude date du 28 décembre 1792.

[55] J-P Duport, homme de loi, siège 10 fois, J Turc Durif, avoué, 9 fois, C A M Grand, avoué, 9 fois, J Martin, homme de loi, 8 fois, P Arnaud, avoué, 8 fois, E Michal, homme de loi, 12 fois.

[56] Sachant, par ailleurs, que la durée moyenne d'une procédure est de six semaines et que les arbitres (sous le motif louable d'écourter la procédure et de réduire ainsi le coût du procès, ou sous celui, moins avouable, de tirer quelque menue monnaie d'une activité annexe) n'hésitent pas à s'improviser «expert» lorsqu'il s'avère nécessaire d'estimer la valeur de biens pour liquider une succession ou déterminer le montant d'une demande en répétition de dot, on a du mal à concevoir que certains aient pu envisager l'arbitrage familial comme une corvée!

[57] J-L Halperin (op cit, 256) suggère dans son étude que telle est bien la tendance à Lyon.

[58] 4 août 1792, ADI, L 1677.

[59] Sur les 7 décisions ne précisant pas le montant des honoraires, 6 sont des jugements préparatoires ou interlocutoires. On retrouve donc ultérieurement, lors du jugement définitif, la trace de la rétribution versée aux arbitres.

[60] Ces honoraires peuvent varier fortement en fonction de la nature du litige et de la complexité de la procédure. Certaines affaires réclamant plusieurs réunions, de nombreuses expertises de biens ou des auditions de témoins, sont une source de gratifications non négligeables pour les arbitres (par exemple, 28 septembre 1792, ADI, L 1677; 28 décembre 1792, ADI, L 1678). D'autres, en revanche, parce que leur solution est évidente et ne nécessite qu'une seule réunion du tribunal, se révèlent peu onéreuses pour les parties (exemple, 30 juin 1792, ADI, L 1677).

[61] Parmi les auteurs qui se sont penchés sur la question des honoraires, tous acceptent cette fourchette. Sur ce point, Védié, op cit,, pp 123-129; Viard, op cit, P 255; Devaux, op cit, P 142; Ferret, op cit, pp 377-387; Charpentier, op cit, p 185.

[62] Rigaud, avoué au tribunal du district, est l'exception qui confirme la règle: dans une sentence du 16 décembre 1792 (ADI, L 1679), il déclare en effet «ne vouloir taxe» pour sa participation à l'arbitrage.

[63] Ferret, op cit, 159. Bien que systématique, cette tentative de conciliation ne produit guère plus de résultats qu'à Grenoble (Ferret, 159-162).

[64] Pour le reste du district de Grenoble, on dénombre 2 cas où la médiation des arbitres a effectivement détourné les parties de la voie contentieuse et 7 décisions indiquant qu'après avoir «vainement tenté de concilier» les parents au litige, les arbitres ont dû se résoudre à liquider le différend.

[65] À Grenoble 33 affaires représentant près de 70 pour cent des sentences sont relatives à une succession.

[66] La remarque vaut également pour les litiges entre époux, tels que la séparation de corps et/ou de biens et, à partir de septembre 1792, le divorce.

[67] 8 février 1792, ADI, L 1679.

[68] On retrouve des décisions dans lesquelles ces mêmes arbitres sont désignés comme experts. Par exemple, 28 septembre 1792, ADI, L 1677.

[69] À eux deux, Duport et Royer des Granges siègent dans quatorze tribunaux de famille différents.

[70] Duchesne semble être coutumier du fait puisque sur les 15 affaires dont on sait avec certitude que les plaideurs ont été assistés (encore ne connaît-on pas toujours le nom de celui qui leur a prêté conseil) ledit Duchesne apparaît 4 fois.

[71] Un sondage rapide du registre des ordonnances de renvoi rendues par le tribunal de district (ADI, L 1671) révèle que Dutrait des Ayes est un fervent pratiquant du renvoi – ce qui témoigne d'un emploi du temps sans doute exorbitant.

[72] Tous les ouvrages traitant le sujet soulignent la part active de la basoche dans les événements survenus à Grenoble dès 1787. On se reportera, pour de plus amples informations, aux listes de noms publiées par Xavier Roux concernant les réunions de Grenoble et de Vizilles (notamment, pp 133 et s) ainsi qu'à la remarquable étude de Jean Egret Les Derniers États du Dauphiné, Romans, Septembre 1788 - Janvier 1789 (Grenoble, 1941).

[73] Dans les sentences rédigées par les arbitres grenoblois, on trouve certaines formules révélant le patriotisme et le dévouement à la cause révolutionnaire. Voir par exemple, 23 juillet 1791, ADI, L 1676.

[74] Il est difficile de dire si des arbitres dépourvus de connaissances juridiques auraient été capables, par exemple, de démêler certaines affaires complexes de succession car les deux décisions répertoriées appellent, pour leur règlement, le bon sens commun. La première consistait, suite à une assignation en paiement, à faire exécuter à un traité privé; la seconde, à appuyer une demande de correction paternelle.

[75] ADI, L 1678.

[76] Une étude systématique des appels des sentences arbitrales, en plus d'être fastidieuse, ne serait pas forcément appropriée à rendre compte de l'éventuelle insatisfaction des parties. Faire appel d'un jugement domestique ne signifie pas inévitablement que le fonctionnement est défaillant ou que la composition de ces tribunaux ne répond pas à sa destination mais simplement, c'est un truisme, que face à une décision défavorable, l'une des parties exprime la volonté de saisir le tribunal du district, espérant, cette fois-ci, obtenir satisfaction. Ce fait est d'ailleurs inévitable en cas d'échec de la conciliation, le juge ne pouvant, en matière contentieuse, donner raison aux deux plaideurs.

[77] 12 janvier 1792, ADI, L 1677.

[78] Dans une sentence du 27 février 1792, les sieurs Froment et Mallein avaient averti le défendeur du fait «qu'ils avaient été consultés sur les questions du procès et qu'ils se récuseraient eux-même si cette circonstance pouvait causer le moindre ombrage à quelques-unes des parties»: ADI, L 1677.

[79] 12 janvier 1792, ADI, L 1677.

[80] A-C Guichard, op cit, pp 6-8 et 17. On retrouve cette citation, plus ou moins complète, sous les plumes de J-L Halperin, op cit, 295 et de J-P Royer, op cit, 274.

[81] Arch parl, op cit, t 66, 599.

[82] Dans ses Instruction sur la Justice de Paix ... (1791, BMG, O 6024), Royer des Granges mentionne qu'un tel ouvrage est «utile, principalement pour les citoyens des campagnes».

[83] Arch parl, op cit, 29 mars 1790, t 12, 422.

[84] Rappelons, à la décharge de ces derniers, que les indications du législateur, plus soucieux de l'esprit de la réforme que de sa mise en œuvre pratique, ne les éclairaient guère dans leur tâche.

[85] Cette hésitation, inhérente à la mise en place récente des nouvelles règles de compétences, ne se reproduira plus. Saisi d'une assignation en paiement, le bureau de conciliation de Grenoble déclare que «cette action doit être portée au tribunal de famille ... vu que la contestation est entre oncle et neveu (23 mars 1792, ADI, L 1677).

[86] 3 juin 1791, ADI, L 1677.

[87] Pour être tout à fait précis, il convient de dire qu'un décret du 6 mars 1791, sanctionné le 27 prévoit une exception à cette règle. En effet, les petites affaires dont l'espèce n'excède pas la compétence des juges de paix peuvent être portées devant ces juges, sans qu'il soit besoin de former un tribunal de famille exprès. Ce décret méconnu est rapporté par A C Guichard Code de la Justice de Paix, Principes du Droit Français à l'Usage des Juges de Paix, t II, Paris, juillet 1791, 157.

[88] Sur les 9 premières réunions de tribunaux de famille, on recense 3 défauts de comparution du défendeur.

[89] Dans une telle situation, le tribunal de district ou le juge de paix pallie cette défaillance en désignant d'office des arbitres pour le compte du défendeur. Ce cas de figure se retrouve pour 4 des 8 premières affaires ayant donné lieu à la convocation d'un tribunal de famille, ce qui témoigne d'une certaine mauvaise volonté des plaideurs. Toutefois, cette caractéristique couvre l'ensemble de la période (dans 25 cas, sur 51 affaires, le juge intervient dans la désignation des arbitres) et n'est pas propre aux montagnards (à Grenoble, on dénombre 30 nominations d'office pour 54 affaires).

[90] Le jugement révèle également chez ces dernières une motivation plus circonstancielle: gagner du temps afin de jouir plus longtemps des fruits d'une propriété qu'elles savent pertinemment ne pas être la leur.

[91] 16 juin 1791, ADI, L 1677.

[92] Ibid.

[93] Tribunal de famille, juge de paix, bureau de paix et de conciliation, tribunal de district.

[94] 30 mars 1792, ADI, L 1677. Voir également 16 juin 1792, ADI, L 1677. À supposer qu'il eût pensé exercer une certaine influence sur le contentieux familial (en s'appropriant, par exemple, la nomination d'office des arbitres), le tribunal de district n'aurait eu ni le temps, ni les moyens de ses ambitions. L'activité débordante des juges de district les contraint très vite à ne plus désigner d'office des arbitres lorsqu'une des parties ne l'a pas fait. Aussi, ce type de nomination devient-il le fait exclusif du juge de paix. Pour une illustration de cet état de fait, 12 octobre 1792, ADI, L 1678.

[95] 19 juin 1792, ADI, L 1677.

[96] Il semble, en effet, que la tendance initiale des parties de se rendre à Grenoble pour mettre fin à une difficulté juridique s'atténue progressivement pour disparaître dans le courant de l'année 1792.

[97] 21 octobre 1791, ADI, L 1676.

[98] ADI, L 1677.

[99] 4 août 1792, ADI, L 1677.

[100] Ibid.

[101] 4 août 1792, ADI, L 1677.

[102] Aucune récusation d'un arbitre n'a pu être relevée parmi les procédures de convocation des tribunaux de famille «montagnards». Pour des exemples de cette pratique à Grenoble, 4 août 1792, 17 août 1792, 12 septembre 1792, ADI, L 1677.

[103] ADI, L 1677.

[104] Lors d'un jugement, Étienne et Antoine Rey Joli déclarent que, «pour traiter leur frère avec modération et pour se rendre aux sollicitations qui leur ont été faites par des amis, ils réduisent leur demande», 1 octobre 1792, ADI, L 1678.

[105] 16 août 1791, ADI, L 1676, 23 janvier 1792 et 25 mai 1792, ADI, L 1677.

[106] 12 sur 51.

[107] Faut-il rappeler que pour un nombre identique d'affaires à Grenoble, on ne trouve que deux exemples de tribunaux dont les membres n'exercent aucune profession juridique?

[108] On trouve des exemples où l'homonymie marque la parenté entre plaideurs et arbitres. Voir notamment 22 mai 1792, ADI, L 1677.

[109] La plupart des sentences mentionnent, en effet, le nom de l'arbitre suivi de son lieu de résidence habituelle qui se trouve être souvent le même que celui des parties.

[110] Le terme employé lors de la rédaction du jugement est une indication permettant de déterminer la fonction réelle de l'arbitre, en même temps que sa parenté avec les plaideurs. Alors qu'à Grenoble l'expression consacrée pour désigner les personnes siégeant dans les tribunaux de famille est «juge arbitre» ou «expert arbitre», il n'est pas rare de voir ces dernières être, dans les zones de campagnes et de montagne, qualifiées de «parents arbitres». Pour un exemple, 6 septembre 1792, ADI, L 1677.

[111] 24 mars 1790, Arch parl, op cit, t 12, 346.

[112] 6 septembre 1792, ADI, L 1677.

[113] Ibid.

[114] Ibid.

[115] 1 octobre 1792, ADI, L 1678.

[116] 14 juillet 1791, ADI, L 1676.

[117] Dans son célèbre discours du 24 mars 1790 prononcé à la tribune de l'Assemblée nationale, il considère que «l'obligation faite aux justiciables de payer les juges pour obtenir un acte de justice ... est le plus bizarre et le plus malfaisant des abus qui ont corrompu l'exercice du pouvoir judiciaire». Arch parl, op cit, t 12, 344.

[118] 3 août 1792, ADI, L 1677.

[119] Moins de 10 pour cent des décisions (4 sur 46) ne précisent rien à ce sujet.

[120] P-P Viard, «Les Tribunaux de Famille dans le District de Dijon (1790-1792)» dans Nouvelle Revue Historique de Droit Français et Étranger (1921) 255.

[121] 22 juillet 1791, ADI, L 1676; 20 mai 1792, ADI, L 1677; 1 octobre 1792, ADI L 1678. Certaines portent mention expresse de la volonté des citoyens arbitres: «Nous Freychet et Arnaud, ne voulons aucune vacation», 16 juin 1792, ADI, L 1676.

[122] Thouret, 7 juillet 1790, Arch parl, op cit, t 16, 737.

[123] «12 livres à chacun à raison de 4 livres par jour» 3 août 1792, ADI, L 1677.

[124] À l'exception de la ville de Grenoble bien entendu.

[125] Comment moins de 30 pour cent des arbitres auraient-ils pu infléchir à eux seuls la pratique des tribunaux de famille?

[126] On dénombre 74 citoyens pour 43 notaires.

[127] 36 tribunaux, sur 51 répertoriés pour les zones de montagne, plaine et campagne, comptent au moins un notaire parmi leurs membres.

[128] On apprend cependant dans certaines sentences que les parties n'hésitent pas, lorsque le problème juridique est véritablement délicat, à se rendre à Grenoble pour consulter un homme de loi: cela montre les limites du savoir des notaires. Pour un exemple, 16 juin 1792, ADI, L 1677 (en l'occurrence, ce sont 2 hommes de loi, Dutrait des Ayes et Piat Desvial, qui ont donné une consultation).

[129] Par exemple, 20 octobre 1792 et 2 novembre 1792, ADI, L 1678.

[130] Près de trois-quarts des litiges (44 sur 61) portés à la connaissance des arbitres de famille ont trait à une succession. À titre de comparaison, le contentieux familial est, à Grenoble, plus diversifié et si les affaires de succession restent majoritaires, elles ne représentent que 44 pour cent des cas traités par les tribunaux de famille grenoblois.

[131] 21 sur 61.

[132] Les raisons de ce refus sont aussi diverses que difficiles à cerner. On peut cependant avancer, grâce aux indications fournies par l'examen exhaustif des défauts de comparution, que certaines ne désignaient pas leurs arbitres par dépit ou résignation. Sur les 21 affaires de nomination d'office, on note 8 cas où le défendeur, sachant sa cause perdue d'avance, ne paraît pas devant le tribunal (ces huit décisions donnent en effet satisfaction au demandeur). Pour le reste, il est difficile d'oser une explication générale d'autant que les nominations d'office sont aussi fréquentes en ville (16 affaires sur ce 54) qu'en dehors (21 affaires sur 61).

[133] Certaines situations sont particulièrement cocasses. Ainsi, un plaideur boycotte la réunion d'un tribunal parce que, ayant eu un moment des raisons d'espérer que ladite assemblée se tiendrait près de chez lui mais n'ayant pu obtenir satisfaction sur ce point, il ne souhaite plus se déplacer, ni lui, ni ses arbitres: «Ledit Nicolas Buissard ne se rendit pas à cette invitation, les arbitres ne parurent pas non plus et c'est pour ce motif que nousdits Hélie et Peronnard (notaires de leur état) avons été nommés d'office» (20 septembre 1792, ADI, L 1677).

[134] Dans ces cas, les plaideurs choisissent de préférence les citoyens (31) aux notaires (21). Chose intéressante également, ces derniers sont pratiquement aussi nombreux dans les tribunaux de famille que les laboureurs (17). Le mode de nomination des arbitres par les plaideurs favorise donc nettement une composition «familiale» des tribunaux.

[135] 29 notaires pour 20 citoyens.

[136] 24 mars 1790, Arch.parl, op cit, t 12, 346.

[137] «Le juge de paix ne pourra être choisi que parmi les citoyens éligibles aux administrations de département et de district, et âgés de trente ans accomplis».

«Le juge de paix sera élu, au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages, par les citoyens actifs réunis en assemblées primaires». Titre III, articles 3 et 4 de la loi des 16-24 août 1790, Duvergier, op cit, 315.

[138] Sur les 39 juges de paix du district, on dénombre 24 juristes (12 notaires et 12 hommes de loi, avoués ou anciens avoués). Almanach du département de l'Isère, ADI, per 906/2, 72-73.

[139] La troisième catégorie d'arbitres la plus représentée après les notaires (29) et les citoyens (20), est celle des assesseurs du juge de paix (7).

[140] C'est pourquoi nous avons trouvé un palliatif à cette absence d'indications en adoptant la démarche suivante: après avoir recensé toutes les affaires de nomination d'office, nous avons dressé la répartition par qualité des arbitres composants les tribunaux de famille formés à cette occasion, à raison de 4 arbitres par assemblée. Bien entendu, pour chaque cas, deux arbitres ont été désignés par une des parties (le demandeur) et deux autres par le juge de paix, sans que la sentences précise lesquels l'ont été par l'un ou par l'autre. L'absence de ce détail essentiel n'empêche cependant pas certaines conjectures sur le comportement des juges de paix en matière de nomination d'office, notamment en adoptant une méthode de comparaison systématique entre ce type de désignation et celle, plus courante, consistant pour chaque plaideur à nommer ses deux arbitres respectifs. C'est pourquoi les chiffres sur lesquels on s'appuie marquent une tendance et non une réalité scientifique.

[141] 22 juillet 1791, ADI, L 1676; 29 avril 1792 et 20 septembre 1792, ADI, L 1677.

[142] Rappelons que cette présence ne se mesure pas tant sur un plan quantitatif (les notaires ne représentent que 17 pour cent du nombre total des arbitres) que sur celui, plus subjectif, de l'ascendant qu'ils sont susceptibles d'exercer sur les autres arbitres (près des trois-quarts des tribunaux de famille comptent au moins un notaire parmi leurs membres).

[143] On dénombre, pour le canton d'Oisans, 7 sentences. Sur les 28 arbitres concernés, 4 (soit 14 pour cent du nombre total d'arbitres) ont siégé 15 fois.

[144] Parmi les arbitres de famille désignés pour siéger dans les tribunaux domestiques constitués à Bourg d'Oisans, on recense 10 assesseurs, 10 notaires et 7 citoyens (pour ne citer que les trois catégories les plus représentées).

[145] Royer des Granges, op cit, Adresse à mes concitoyens, in limine.

[146] La présence de ces pacificateurs est spécifique à Bourg d'Oisans, car dans le reste du canton on n'en trouve aucun parmi les arbitres de famille.

[147] 4 arbitres sur les 16 concernés siègent dans 12 tribunaux (sur les 16 convoqués à cet endroit).

[148] Chose rarissime, les indications fournies par les sentences arbitrales de Bourg d'oisans permettent de connaître précisément les nom et qualité des personnes nommées d'office: sur les huit arbitres désignés par le juge de paix, on compte quatre assesseurs, trois notaires et un citoyen. Les noms de chacune de ces personnes se retrouve également lorsque les arbitres ont été désignés sans que le juge de paix soit intervenu, ce qui témoigne de leur emprise sur une pratique devenant de plus en plus affaire de spécialiste.

[149] Dans les trois affaires où les parties ont désigné elles-mêmes leurs arbitres, Joseph Moulin (assesseur du juge de paix Balme) siège trois fois, Didier Cugnat (notaire) et Daday (citoyen) deux fois chacun. L'influence de ces personnalités s'exerce donc également en dehors de la confrérie locale des praticiens du droit.

[150] Rien de comparable ici avec la pratique des assemblées de famille réunies dans le reste du canton. En effet, à Oz, Vaujany, Allemont, ... , seuls trois arbitres (sur les 20 concernés) siègent dans deux tribunaux différents. Parler de spécialisation serait, dans ces circonstances, parfaitement inconsidéré.

[151] Sur ce point, 20 décembre 1791, ADI, L 1676; 23 mars 1792, ADI, L 1677.

[152] Ce sont le plus souvent des notaires.

[153] 20 décembre 1791, ADI, L 1676.

[154] 2 novembre 1792, ADI, L 1678.

[155] 4 septembre 1792, ADI, L 1677.

[156] Royer des Granges, op cit, Adresse à mes concitoyens, in limine.

[157] ADI, L 1677.

[158] 1 juin 1792, ADI, L 1677.

[159] 31 décembre 1792, ADI, L 1678.

[160] Sur le mode de diffusion et de réception des textes à l'époque révolutionnaire, Françoise Fortunet, op cit, 359.

[161] Thouret, 24 mars 1790, Arch parl, t 12, 346.

[162] 12 avril 1792, ADI, L 1677.

[163] 26 octobre 1792, ADI, L 1678. Dans cette affaire, Guillaume Duriance, frère de la femme dudit Brunet Manquat, prétend que le partage des biens relatifs à la succession paternelle ne peut se faire car sa sœur «ne paroissant pas, on ne sait pas si elle y consent ou non».

[164] Thouret, 7 juillet 1790, Arch parl, op cit, t 16, 737.

[165] Souligner les vertus de l'arbitrage pratiqué dans les zones montagneuses ne revient pas à prétendre qu'en ville les arbitres se désintéressent complètement du sort des parties. En effet, dans certains cas, les juges de famille grenoblois invitent les parents à conserver l'affection naturelle qui les unit alors même qu'ils se sont déchirés au cours de l'instance: «L'état d'infirmité et l'âge avancé de ladite Anne doivent parler aussi impérieusement en sa faveur auprès de son frère pour qu'il lui donne tous les soins et secours qu'elle doit attendre de lui pour l'aider à terminer sa carrière» (10 février 1792, ADI, L 1677).

[166] 12 octobre 1792, ADI, L 1678.

[167] «Néanmoins, nous croyons devoir y apporter une valeur et estimation en bloc d'une somme de 100 livres y compris une vache». Ibid.

[168] 22 mai 1792, ADI, L 1677.

[169] Souligné par nous.

[170] Dans la sentence le mot est barré et surmonté d'un autre terme («disons»), ce qui dénote l'hésitation presque coupable des juges et l'estimation approximative du montant de la pension.

[171] 22 mai 1792, ADI, L 1677.

[172] Sans doute la proche parenté des plaideurs et des arbitres explique-t-elle ici le ton compatissant du jugement.

[173] 13 mars 1792, ADI, L 1677.

[174] Cité par J-P Branlard, op cit, 38.

[175] Réimpression du moniteur, t 27, 256. Cité par J-P Branlard, op cit, 29.


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