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Calinaud, Rene --- "Un Organisme Sui Generis Propre a la Polynesie Francaise" [2004] VUWLawRw 17; (2004) 35(2) Victoria University of Wellington Law Review 477


UN ORGANISME "SUI GENERIS" PROPRE à LA POLYNéSIE FRANçAISE: LA COMMISSION DE CONCILIATION OBLIGATOIRE EN MATIèRE FONCIèRE

René Calinaud[*]

La loi d'orientation du 5 février 1994 a décidé le principe de l'instauration de la Commission de Conciliation Obligatoire en Matiere Foncière de la Polynésie française. Institution nouvelle et originale, cette création était le fruit d'une longue réflexion sur le traitement des affaires foncières qui présentent dans ce pays d'outre-mer des traits originaux et des difficultés particulières. Cet article examine le succès de la Commission, tenant compte de son futur incertain après la création d'un tribunal foncier dans la reforme constitutionnelle de 2004.

The law of 5 February 1994 set up the Land Conciliation Commission of French Polynesia as a unique and original institution. Its creation was the result of considerable reflection on the treatment of land claims, which have their own particular characteristics and difficulties in this overseas territory. This article examines the success of the Commission, in light of its uncertain future after the creation of a land tribunal by the constitutional reform of 2004.

La loi d'orientation du 5 février 1994 a décidé le principe de cet organisme nouveau et original qui a ensuite été institué par la loi 96-609 du 5 juillet 1996 et ses textes d'application.

Cette création était en fait le fruit d'une longue réflexion sur le traitement des affaires foncières qui présentent dans ce pays d'outre-mer des traits originaux et des difficultés particulières.[1]

Dès 1964, les autorités locales avaient créé un service administratif dit des "Affaires de terres", dont il n'existe pas d'homologue en métropole.

Celui-ci rendait de grands services, mais se limitait aux cas bénéficiant de l'assistance judiciaire, et par ailleurs, une augmentation sensible des procédures faisait apparaître en la matière, une relative inadaptation de la juridiction civile de type classique.

On déplorait parfois, une trop grande mobilité les magistrats en charge de ce genre de contentieux, parfois l'ignorance délibérée de ceux-ci à l'égard des spécificités locales, même procédant des textes applicables.

En outre, l'absence de postulation obligatoire par avocat permettait aux justiciables, notamment aux plus démunis, de recourir à des espèces d'écrivains publics plus ou moins clandestins dont certains se croyant libres d'écrire n'importe quoi en dépit du bon sens, risquaient de leur faire perdre des procès qui auraient pu être gagnés.

Pour tenter d'y remédier, une double idée faisait lentement son chemin, celle d'effectuer une sorte d'instruction civile de ces affaires, celle d'associer à leur règlement des personnes de la société locale.

Ceci, et surtout le second point, s'était heurté longtemps aux réticences des juristes professionnels.

En 1990, le Premier Président de la Cour d'appel de Papeete émettait l'idée d'étendre le rôle du service des affaires des terres au public en le chargeant de l'instruction systématique des dossiers dans le cadre d'une tentative obligatoire de conciliation.

La même année, la loi statutaire du 12 juillet établissait un "collège d'experts en matière foncière", mais le rôle limité de celui-ci ne répondait pas aux objectifs cités.

Enfin, la loi de 1994 a décidé, en son article 4 alinéa 2, que "l’Etat instituera une commission de conciliation obligatoire en matière foncière dont la composition, la compétence et les règles de fonctionnement seront définies par une loi ultérieure".

Y faisant suite, une mission conjointe Ministère des départements et territoires d’Outre Mer / Chancellerie a séjourné en Polynésie française une quinzaine de jours, pour rencontrer les principaux acteurs des domaines judiciaire, administratifs et politiques, et a déposé un pré-rapport,[2] puis un groupe de proposition informel, réuni en 1996 entre magistrats, fonctionnaires et techniciens, a travaillé sur la base d'un premier projet fourni par le ministère de la justice, et c’est de cette longue élaboration que sont issus les textes régissant la Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière (CCOMF).

L'article 38 de la loi du 5/7/1996 consacré à celle-ci est subdivisé en 11 paragraphes, le premier définissant sa compétence matérielle:

"Les actions réelles immobilières ainsi que les actions relatives à l’indivision ou au partage portant sur des droits réels immobiliers sont soumises à une procédure préalable de conciliation".

Ces termes sont interprétés de manière extensive comme englobant tous les litiges de propriété, de succession ou de possession, dès lors qu'ils impliquent des prétentions foncières, y compris donc les questions de bornage ou de servitude; à l'inverse, les contentieux relatifs aux baux ou aux parts individuelles dans une société, même immobilière, d'entrent pas dans cette catégorie.

Le paragraphe II concerne la composition de la commission: un président, qui doit être un magistrat ou un avocat, en exercice ou honoraire; une personne qualifiée par sa compétence et son expérience; une personne choisie pour sa connaissance des problèmes locaux, selon l'archipel concerné; et leurs suppléants; étant précisé que deux des trois membres doivent maîtriser la langue polynésienne, et tous étant désignés par arrêté du Ministre de la Justice.

Dans la pratique, le président désigné est un magistrat honoraire; son suppléant, un magistrat en exercice, habituellement celui en charge de la Justice foraine près du Tribunal de première instance; les personnes particulièrement qualifiées sont des membres de l'Académie Tahitienne, les membres au titre des archipels seront les Administrateurs des subdivisions territoriales, l'un des suppléants appartenant à l'Académie Marquisienne.

Les paragraphes III à VIII, traitent de la saisine, de l'instruction du dossier et de la tentative de conciliation.

Les points principaux: d'abord, la commission peut être saisie par tout intéressé (et même, ajoute le décret, par simple requête verbale).

Ensuite, en conséquence du caractère obligatoire de ce préalable procédural, lorsque la juridiction civile a été saisie directement sans passer par lui, celle-ci doit renvoyer l'affaire devant la commission, hormis quelques exceptions limitées que le Tribunal interprète restrictivement. La commission, c’est-à-dire le président ou son suppléant, veille au déroulement de l’instruction et pour cela procède à la réception des requêtes notamment verbales, aux auditions de témoins et visite des lieux, contrôle la fourniture des documents voulus et les expertises.

Une fois le dossier complet, il est procédé à une tentative de conciliation qui a lieu contradictoirement, au cours d'une audience non publique regroupant plusieurs affaires, avec une périodicité mensuelle.

Si le paragraphe I a fixé le siège ordinaire de ses séances à Papeete, la grande étendue du ressort a nécessité que soient aussi organisées des audiences décentralisées dans les divers archipels, notamment aux Iles-sous-le vent et aux Marquises.

En cas de conciliation, il est établi un procès-verbal, que les parties peuvent, à leur volonté, demander à la juridiction compétente de revêtir de la formule exécutoire.

S’il n'y a pas eu de conciliation, le procès-verbal en est de même transmis au tribunal sur la demande de l'une des parties.

Le second alinéa du paragraphe VII impartit à la commission un délai de six mois, à l'issue duquel les parties deviennent libres de porter l'affaire devant la juridiction compétente.

Ce délai est très court, eu égard aux difficultés et lenteurs pouvant découler de l'éparpillement des nombreuses parties (et de leurs pièces) entre les diverses îles voire archipels; il était cependant nécessaire afin d'éviter une durée indéfinie des procédures, mais dans la pratique la plupart des parties, conscientes de la complexité d'une instruction efficace, évitent de s'en prévaloir.

Le paragraphe XI indique que les règles de la procédure seront fixées par un décret en Conseil d’Etat. Celui-ci intervenu le 9/01/1997 sous n° 97-12, comporte diverses dispositions dont les principales ont été intégrées à l’exposé ci-dessus.

Il fixait un délai d'un mois pour produire les pièces requises par le président, à l'issue duquel faute de production la requete était de plein droit caduque - délai complètement irréaliste et inapplicable, qui a été amendé par le décret 2002-1167 du 11 /09/ 2002 pour être laissé à l'appréciation du président.

Enfin, le paragraphe IX de cet article 38 a prévu qu’une convention entre l’Etat et le Territoire, pourra mettre à la disposition de la CCOMF, le service territorial des affaires de terres.

Cette dernière a été conclue le 25 mai 1998: La Polynésie française fournit à la commission les locaux nécessaires à son fonctionnement et l’aide de la nouvelle "Direction de l'Assistance aux Particuliers” (DAP) laquelle au sein de la Division des Affaires Foncières - elle-même issue d'une réorganisation des divers services concernés (Affaires de terres, Cadastre, Domaines, Conservation des hypothèques)- assure le secrétariat et les missions matérielles d'instruction.

Au 31/12/2003, cette division (DAP) se composait de 8 agents, dont cinq basés à Papeete, 3 à l'antenne d’Uturoa pour les Iles-sous-le vent.

L’article 4 dispose que les dépenses afférentes à ces missions sont supportées à part égale par l’Etat et la Polynésie française mais, dans la pratique actuelle, il semble que l’Etat assume seulement le montant des” vacations” allouées aux membres non fonctionnaires, lesquelles n’égaleraient pas, et de loin, les autres charges.

En application de ces divers textes, les premiers membres de la CCOMF ont été nommés par arrêtés ministériels du 26 août 1997 pour les titulaires et du 15 mars 1999 pour les suppléants, et c'est seulement à partir du 1er juillet 1998 que la Commission a été effectivement mise en place et a commencé à fonctionner.

La loi prévoyant (par un raisonnement a contrario), son application immédiate aux instances ouvertes après sa date de publication, laquelle a eu lieu au JOPF au 8 août 1996, le Président du Tribunal de première instance de Papeete, par une interprétation littérale, a fait transférer à la CCOMF, les diverses requêtes foncières dont sa juridiction avait été saisie entre cette première date et celle du début réel du fonctionnement, si bien que la commission a démarré avec un pré-stock initial de 157 dossiers.

Au 31 décembre 2003, c'est un total 1719 dossiers que le secrétariat de Papeete a enregistré au cours de ces cinq années et demi.

Sur ce nombre, 919 ont pu être traités, dont 752 par le passage en audience de conciliation, les autres par diverses ordonnances procédurales.

Le taux de conciliation par rapport aux affaires audiencées varie selon les années entre 24 et 36%.

Aux chiffres ci-dessus, il faut ajouter ceux enregistrés à l’antenne d’Uturoa, soit 327 sur l'ensemble de la même période, pour 346 traités (la différence en plus provient d’un certain nombre d'affaires entrées à Papeete et transmise à Uturoa).

Toutefois, le stock total de dossiers restant en cours en fin d'année est en constante augmentation (636 au 31 décembre 2003), ce qui révèle un facteur de frein.

L'activité de la CCOMF a débuté par une période de rodage et d'incertitudes.

D'emblée, s'était posée lors des premières réflexions une question préalable concernant sa nature juridique: " L'institution d'une tentative obligatoire de conciliation constitue-t-elle une règle de procédure, comme telle de la compétence du Territoire, ou une mesure d'organisation judiciaire, de la compétence de l'Etat?".

Il était pourtant clair que la création d'un organisme nouveau investi d'une mission pré-contentieuse de conciliation entrait bien dans la seconde catégorie, ce pourquoi il a fallu qu'intervienne une loi, seules les règles de procédure à suivre devant cet organisme une fois créé étant du domaine réglementaire.

De plus, même s'il ne s'agit pas d'une juridiction stricto sensu, puisqu'elle ne rend pas de décisions exécutoires, le fait que ses membres soient nommés par le Ministre de la Justice démontre qu'elle s'insère dans le domaine judiciaire au sens large.

Ensuite, dès la mise en œuvre effective de la Commission, une autre difficulté juridique est apparue, tenant au fait qu'un magistrat, c'est-à-dire à la fois membre du pouvoir judiciaire et relevant de l'Etat, se trouvait en charge de "donner des instructions" à des agents relevant de l'exécutif et du Territoire.

Difficulté plus formelle que sérieuse, puisque des situations analogues se rencontrent localement dans d'autres secteurs, mais qui a dégénéré dans les premiers temps en problèmes relationnels individuels, jusqu'à ce que les uns et les autres veuillent bien considérer que tous sont au service de la population de ce pays.

Les divers rapports annuels d'activité[3] qui ont suivi relèvent les difficultés plus réelles qui constituent un frein à un bon et rapide déroulement des procédures:

- principalement, "la persistance sur le terrain de nombreuses situations litigieuses, souvent conflictuelles et anciennes", qui découlent avant tout des défectuosités des premiers titres de propriété comme de celles des transactions qui y ont fait suite, rédigées pendant des décennies avec un trop grand laxisme; les malfaçons passées sont parfois irrémédiables, c'est là une source de problèmes en quelque sorte structurelle;

- "la complexité de la matière qui requiert, avant d'envisager une tentative de conciliation, des travaux de contrôle des titres de propriété, des recherches des indivisaires dans des successions anciennes de plusieurs générations, des calculs des quotités successorales et des expertises par géomètre"; le problème est moins grave que le précédent, mais il est général et permanent;

- les moyens d'action humains; la qualité du personnel affecté à la DAP a été considérablement améliorée au fil des années et s'avère très satisfaisante, mais l'augmentation constante du volume des affaires fait apparaître son insuffisance numérique, et par ailleurs se pose la question de la marge d'activité du président.

Sur ce point en effet, les autres membres étant matériellement empêchés d'accepter de celui-ci des délégations, tant en raison de leurs autres obligations que de leur manque de formation juridique, leur participation se limite à la tenue collégiale des audiences, et il en résulte que l'ensemble des tâches de contrôle de l'instruction incombe en fait au président (ou le cas échéant à son suppléant); or, l'article 6 du décret de 1997 alloue à celui-ci une "indemnité de vacation" sous un plafond annuel fixé à 36 demi-journées – trois demi-journées par mois, alors qu'il en faut une pour tenir l'audience, une pour préparer celle-ci, et une pour en assurer le suivi (corrections et signatures, rédaction des ordonnances notamment d'expertise, etc.), il ne reste donc plus rien, ni pour les audiences décentralisées dans les îles, ni pour toutes les autres tâches (réception des requêtes verbales, compléments d'instruction, auditions de témoins, visites des lieux).

Dans la pratique, le président a ainsi assuré 45 demi-journées en 2000, 60 en 2001, 75 en 2002, 88 en 2003; cela nécessite un certain bénévolat, mais le bénévolat a raisonnablement ses limites. Ces deux derniers points sont d'ordre conjoncturel, donc théoriquement susceptibles d'amélioration.

L'ouvrage récent du Bâtonnier honoraire Gérald Coppenrath,[4] par ailleurs excellent instrument de travail, aborde dans son chapitre 21 consacré à la CCOMF quelques unes de ces difficultés, dont certaines entre temps dépassées. Il convient d'y ajouter les points positifs que notent également les rapports d'activité:

- le nombre important de saisines révèle une forte demande de la population, d'autant que le constat est en progression et concerne presque toutes les Îles;

- la proportion des conciliations constatées, pour une matière généralement conflictuelle à l'origine, semble satisfaisante, et en tout cas dépasse de loin les prévisions des concepteurs de l'institution;

- la communication de dossiers déjà instruits à la juridiction civile doit être un facteur d'accélération de la procédure devant celle-ci; à cet égard, il est indéniable que cela constitue un progrès certain pour ceux des justiciables qui ont engagé leur démarche sans l'assistance d'un avocat (ce qui est le cas de la très grande majorité des requêtes), il est vrai par contre qu'il en découle un ralentissement pour ceux des avocats qui ont constitué dès le départ un dossier complet; la solution résiderait dans un doublement des audiences, actuellement impossible eu égard aux moyens humains.

Un double objectif avait été assigné à la CCOMF par ses initiateurs: établir un filtre au moyen d'une instruction préalable sérieuse remédiant aux insuffisances des requêtes, et faciliter un règlement consensuel des problèmes fonciers.

A l'usage on peut estimer ces buts à peu près remplis (étant observé qu'on ne pouvait prétendre apurer la situation en quelques années), et il est apparu une troisième utilité de la Commission, c'est qu'elle permet aux parties intéressées un dialogue et un échange, impossibles en fait devant un tribunal peut-être trop formaliste et en tout cas trop chargé.

Cependant la question de l'avenir de cette Commission se pose aujourd'hui, dès lors que le nouveau statut de la Polynésie française qui vient d'être adopté a décidé la création d'un tribunal foncier (loi statutaire "complémentaire" 2004-193 du 27 février 2004, titre VII), répondant ainsi au vœu ancien des autorités locales. Des textes d'application devront intervenir ultérieurement pour préciser les attributions, la composition et le fonctionnement de cette nouvelle juridiction.

Dans ces circonstances, la CCOMF se trouvera-t-elle faire double emploi, ou conservera-t-elle son utilité? Son articulation avec ce tribunal foncier ne serait pas plus compliquée qu'avec la juridiction civile ordinaire.

A l'inverse, dans l'éventualité de sa disparition, elle restera une expérience intéressante, fructueuse croyons-nous, et en tout cas le travail d'instruction des dossiers actuellement accompli par les agents de la DAP demeurera indispensable.


[*] Conseiller Honoraire à la Cour d’Appel de Papeete, Président de la Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière.

[1] Pour une présentation du droit foncier en Polynésie française, voir notamment René Calinaud “Les Principes Directeurs du Droit Foncier Polynésien” (2001) 7 RJP 741 à 750.

[2] Rapport de la mission conjointe MEDETOM-Chancellerie en février 1994, et documents de travail divers.

[3] Rapports d'activité annuels de la DAP et rapports d'activité annuels du Président de la CCOMF.

[4] G Coppenrath La Terre à Tahiti et dans les Iles, histoire de la réglementation foncière (éd Haere Po, Papeete, 2003).


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